L’idée d’un pèlerinage au Kazakhstan en surprendra plus d’un. Idée saugrenue ? Peut-être mon côté parfois un peu snob qui me fait aller là où les gens vont rarement ? En réalité, ce projet est surtout né d’une rencontre. L’association de prêtres dont je suis membre, l’Opus Sacerdotale, a reçu pour sa retraite annuelle à Fontgombault en août 2016 Mgr. Athanasius Schneider. Durant ces 5 jours partagés avec lui, je suis devenu admiratif de la sainteté émanant de cet homme humble, discret et pieux mais ô combien courageux, osant prêcher à temps et à contretemps la vérité, à une époque où les évêques sont souvent d’une déconcertante volonté de ne surtout pas faire de vagues. Nous avons parlé ensemble en allemand. Il m’a appris que le Kazakhstan a aussi ses sanctuaires, ses saints, liés à l’histoire soviétique des goulags. Et je me suis dit que nous avions là tous les ingrédients pour un pèlerinage hors-normes : un saint évêque, des édifices intéressants, des martyrs, un pays stable sous le président Noursoultan Nazarbaïev au pouvoir depuis 1990, très proche de Vladimir Poutine.
Biographie
Mgr. Athanasius Schneider (Атанасиус Шнайдер) descend d’une famille alsacienne, arrivée au début du XIXe siècle dans l’Empire russe, appartenant à ce groupe des Allemands de la Mer Noire, appelés depuis Catherine II à coloniser des régions peu mises en valeur entre les fleuves Dniestr, Volga et Don de 1763 à 1835. En 1941, ses parents furent déportés d’Odessa dans l’Oural puis en Kirghizie où naquit Mgr. Schneider en 1961, avant de partir en Estonie. En 1973, ils obtinrent le droit de rentrer en Allemagne, à Rottweil, au Bade-Wurtemberg. Il entra en 1982 chez les Chanoines réguliers de la Sainte-Croix de Coimbra à Seitz, au Tyrol. Cet institut religieux fut créé en 1979 et est lié à l’Opus Angelorum né d’une mystique autrichienne (Gabriele Bitterlich). Il compte aujourd’hui 130 membres dans 12 monastères. Antonius changea de prénom en entrant en religion et devint Athanasius. Il fut formé à Annapolis, au Brésil, de 1984 à 1989. Ordonné prêtre en 1990, il étudia la patristique à Rome (Augustinianum) où il obtint son doctorat en 1997 sur le Pasteur d’Hermas. Il commença à donner des conférences à Karaganda en 1999 avant de s’y installer en 2001 comme directeur des études et directeur spirituel. En 2005 il participa au synode sur l’Eucharistie où il donna son témoignage sur la réception de l’Eucharistie au temps des persécutions soviétiques. Benoît XVI le fit évêque auxiliaire de Karaganda en 2006. Il se fit connaître par ses livres sur la communion sur la langue et à genoux Dominus Est. Pour comprendre le rite de communion pratiqué par Benoît XVI (Tempora, Perpignan, 2008), Corpus Christi : la communion dans la main au coeur de la crise de l'Eglise (Contretemps, 2015). De même, il se fit un nom par l’érection de plusieurs paroisses et construction d’églises, dont la cathédrale de Karaganda dédiée à ND de Fátima (nous sommes dans la sphère d’influence russe, manière de se rapprocher de la consécration au Cœur Immaculé de Marie). Il fut transféré au diocèse d’Astana en 2011.
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Le Kazakhstan est un pays sûr composé à 70% de musulmans mais aussi de 30% de chrétiens, majoritairement russes orthodoxes mais où le catholicisme s’établit en paix, où la communion est obligatoirement donnée sur la langue, même dans la forme ordinaire du rit romain par volonté des évêques locaux. St. Jean-Paul II s’y est rendu le 24 septembre 2001. Le pays, qui est favorisé par d’abondantes ressources énergétiques et sa proximité avec la Russie (Baïkonour est géré conjointement avec le grand voisin), se développe à grande vitesse, associant le style architectural américain à une histoire d’Asie centrale sous influence russe. Cela semblait une conséquence logique, après Fátima, d’aller vers ce sphère russophone (la Russie étant au programme à l’été 2018 aussi) en commençant par ce pays qui abrite l’Expo universelle cet été 2017. J’ai choisi les dates en fonction des disponibilités de Mgr. Schneider avec le calendrier des vacances normandes et parisiennes.
Le Kazakhstan est le 9e plus grand pays du monde avec 2,7 M de km2. C’est le plus grand d’Asie centrale (il a d’ailleurs des frontières au Sud avec les trois autres pays : Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizistan, pas le Tadjikistan). Toute sa frontière nord est avec la Russie, l’Ouest avec la mer Caspienne, l’Est avec la Chine. Il est très peu densément peuplé avec seulement 17 M d’habitants, dont de nombreuses minorités à cause des déportations staliniennes. L’Église catholique est structurée en 4 diocèses (éparchies) pour 182.000 catholiques (1,3% de la population). Les premiers catholiques furent des missionnaires mendiants auprès des Mongols à la cour de Karakorum, dans l’espoir de prendre à revers le calife. Innocent IV y envoya Jean de Plan Carpin, OFM, en 1245-47 puis St. Louis envoya de Chypre où il supervisait la 7e croisade Guillaume de Rubrouck en 1253-55. L’un des premiers diocèses dans le khanat de Djaghataï fut celui d’Almalik (aujourd’hui Chine, Xinjiang) avant 1328. Son second titulaire, Richard de Bourgogne, fut martyrisé par les musulmans.
Avec la conquête russe s’installèrent d’anciens soldats des armées tsaristes, issus de différentes nationalités. Le diocèse de Tiraspol à Saratov fut celui qui prenait en charge les Allemands de l’Empire russe. L’une des églises les plus anciennes (toujours existantes) fut celle du Sacré-Cœur à Petropavlosk. Le 17 avril 1905, un oukase de Nicolas II (édit de tolérance) a libéralisé le culte catholique, désormais presque à égalité avec les Orthodoxes.
L’époque soviétique vit la destruction programmée de toute la hiérarchie et des structures administratives de l’Église (cf. Karlag ci-dessous). Le Kazakhstan est connu pour avoir abrité de très nombreux camps de concentration soviétiques du système du goulag avec parmi les zeks (les deux lettres Z/K = з/к pour заключённый, prisonniers, détenus) le célèbre Alexandre Soljénitsyne (Алекса́ндр Иса́евич Солжени́цын). Son expérience à Ekibastouz (Экибастуз), appartenant à l’ensemble du Steplap ou camp des steppes (Степной лагерь) entre août 1950 et février 1953 donna la trame de son roman Une journée d’Ivan Denissovitch (Оди́н день Ива́на Дени́совича).
Chez les survivants de ces persécutions, une « Église du silence » s’organisa rapidement, sous la houlette de Mgr. Alexandre Chira (1897-1983), (Александр Корнилиевич Хира), Évêque de l’éparchie (diocèse dans les Églises catholiques de rite oriental) gréco-catholique ukrainienne de Moukatchevo (епископ Мукачевской грекокатолической епархии), déporté à Karaganda. C’était un véritable diocèse clandestin qui se déployait sur le territoire des 5 Républiques Soviétiques d’Asie Centrale. En 1991 une administration apostolique fut érigée pour la république et les quatre autres d’Asie Centrale. Un séminaire (Redemptoris Mater puis rebaptisé Maria, Mater Ecclesiæ) fut érigé en 1997-98. Dans cette même ville se trouve aussi le centre de la délégation des Gréco-catholiques.