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Lorsqu’on veut être un saint, on doit chercher la volonté de Dieu. Mais dans le concret, il est souvent difficile d’avoir à trancher dans certains dilemmes.
Saint Thomas d’Aquin, dans Les raisons de la foi s’interroge sur la manière de concilier la divine Providence et la liberté humaine, les deux devant être sauvegardées sans contradiction. « C’est une erreur, en effet, de dire que les actes humains et les événements qui se produisent ne sont pas soumis à la préscience et à la disposition de Dieu. Mais il n’est pas moins erroné de prétendre que cette préscience et cette disposition de Dieu rendent les actes humains nécessaires, car cela reviendrait à supprimer le libre arbitre, l’opportunité des délibérations, l’utilité des lois, le souci de faire le bien et la justice qui punit et récompense ».
« Dieu connaît les choses autrement que l’homme ne les connaît (…) et son être est éternel, de sorte que sa connaissance n’est pas temporelle mais éternelle (…). L’éternité est sans avant ni après, car les réalités éternelles ne changent pas ; aussi l’éternité est-elle toute entière simultanée (tota simul) tout comme le point n’est pas constitué de parties occupant des positions distinctes.
Un point se rapporte à la ligne de deux façons, selon qu’il est situé sur cette ligne (au début, au milieu ou à la fin), ou à l’extérieur d’elle. Le point sur la ligne n’est pas dans toutes les parties de cette ligne (…). Quant au point extérieur à la ligne, rien ne l’empêche d’être à égale distance de toutes les parties de cette ligne, comme dans un cercle, dont le centre indivisible est équidistant de toutes les parties de sa circonférence, de sorte que celles-ci, en un sens, lui sont toutes présentes sans être pour autant présentes l’une à l’autre (…).
Dieu, qui contemple toutes choses depuis les hauteurs de l’éternité, voit donc toujours comme présent le cours entier du temps et tous les événements qui se produisent dans le temps. Par suite, tout comme ma connaissance est infaillible et certaine quand je vois Socrate assis, sans imposer pour autant à Socrate d’être assis ; de même, tous les événements qui, pour nous, sont passés, présents ou à venir, Dieu les connaît d’une façon infaillible et certaine comme présents, sans imposer pour autant aux événements contingents une quelconque nécessité d’exister.
(…) L’écoulement du temps est comparable au trajet sur une route. Si quelqu’un se trouve sur une route qu’empruntent de nombreuses personnes, il voit certes celles qui sont devant lui, mais il ne sait rien de certain à propos de celles qui viennent à sa suite. Si, maintenant quelqu’un occupe une éminence d’où il peut voir toute la route, il embrassera d’un même regard tous ceux qui se déplacent sur cette route. Il en est de même de l’homme dans le temps. Il ne peut voir simultanément tout le cours du temps, mais seulement ce qui est à sa portée : les événements présents et quelques-uns de ceux qui sont passés, mais il ne sait rien de certain concernant l’avenir. Dieu, en revanche, du haut de son éternité, voit de façon certaine et comme présent à tout ce qui se produit dans le cours du temps, sans imposer par là la nécessité à ce qui est contingent (…).
Concernant l’action de la puissance divine, on doit encore considérer ceci : elle opère en tout et conduit chaque chose à agir de la manière propre à chacune. Il s’en ensuit que, sous la motion divine, certaines agissent par nécessité, comme on le voit dans le mouvement des corps célestes, d’autres, de manière contingente, et parfois de manière déficiente, comme on le voit dans les corps corruptibles, par exemple, quand un arbre ne parvient pas à donner du fruit ou qu’un animal est incapable de se reproduire (…). Le mode opératoire naturel, chez l’homme, consiste à agir librement et non pas contraint par une quelconque nécessité, parce que ses facultés rationnelles se rapportent à des objets opposés. Dieu dispose donc les actes humains de telle façon pourtant qu’ils ne soient pas soumis à la nécessité mais proviennent du libre arbitre ».
Et le docteur angélique revient sur le sujet dans sa lettre à l’abbé du Mont-Cassin : « Considéré en lui-même, autrement dit dans ce qui lui arrive, l’homme n’est pas soumis à la nécessité, car certaines choses peuvent lui arriver sans que ce soit en rien l’effet du destin (…). Il en va de même de la mort et de tout ce que l’homme accomplit ou endure, car tout dépend de la divine Providence. Si l’on considère à présent l’homme dans son rapport à la préscience divine, ce qu’il accomplit ou endure tombe sous le coup d’une certaine forme de nécessité, non pas certes absolue – car alors les événements, considérés en eux-mêmes ne pourraient pas se produire autrement qu’ils n’arrivent (…) – mais conditionnelle, au sens où cette proposition conditionnelle ‘si Dieu prévoit quelque chose, cela arrivera’ ».
« saint Grégoire : ‘Pourtant Dieu tout-puissant connaît par avance l’heure de la mort de chacun et le terme de son existence ; et nul ne peut mourir à un autre moment que celui-là même où il meurt’, c’est-à-dire le moment même où Dieu savait par avance qu’il mourrait (…)
En Dieu, au contraire, il n’y a pas de mouvement, selon le mot de Malachie : ‘Je suis le Seigneur et je ne change pas’. Dieu transcende ainsi toute la succession du temps et ni le passé ni le futur n’ont de place en lui, mais tous les événements passés et à venir lui sont présents, comme il le dit lui-même à Moïse, son serviteur : ‘Je suis celui qui suis’. Ainsi donc, pour exprimer les choses à notre manière, Dieu ‘savait’ de toute éternité l’heure à laquelle mourrait cet homme. Mais il faudrait le dire en adoptant le point de vue de Dieu : il le voit mourir, comme moi, je vois que Pierre est assis quand il est assis. Or, il est évident que ce n’est pas parce que je vois une personne assise, qu’elle n’a pas d’autre choix que d’être assise. Impossible pourtant que je la voie assise et qu’elle ne le soit pas. De même, il n’est pas possible que Dieu connaisse ‘par avance’ un événement à venir et que celui-ci ne se produise pas ; pour autant, cet événement ne se produit pas de façon nécessaire ».
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- La divine providence et le gouvernement divin
Le saint Nom de Marie a été inscrit par le Bx. Innnocent XI au calendrier universel pour commémorer le salut de la Chrétienté en Europe par la levée du second siège de Vienne en 1683 après la victoire éclatante du Kahlenberg contre l’invasion ottomane musulmane. Le 12 septembre est une magnifique fête mariale entre la Nativité de la Vierge et Notre-Dame des Douleurs (15 septembre), enchâssant la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix. Comme si le Christ, même crucifié, continuait à être porté dans le sein de sa Mère. Car Marie, de l’Incarnation au Calvaire, de Nazareth à Jérusalem, entoure toujours son divin Fils de ses soins maternels. Cette sollicitude de Dieu nous est montrée chaque jour par la divine providence telle que l’enseigne le Père Serge-Thomas Bonino, op.
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- La providence divine dans les saintes Écritures
- Une compréhension a posteriori
L’Exaltation de la Sainte Croix, 40 jours après la Transfiguration, nous interroge sur ce choix pédagogique de l’Église, « mater et magistra » (mère et maîtresse [de vie]). La Croix, l’événement pascal, est au cœur de l’histoire du monde, comme son point focal. Elle n’est pas un accident de l’histoire, un plan B dans les desseins de Dieu après que le plan A, celui de la Création, eut lamentablement échoué. Autrement dit, elle était voulue par Dieu de toute éternité, s’inscrivant dans son plan d’amour. La Croix est la clé d’interprétation de l’action de Dieu envers les hommes, autrement dit de la divine providence.
Sur le chemin d’Emmaüs, le Christ ne dit-Il pas : « Ô, cœurs sans intelligence, lents à croire tout ce qu’ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui Le concernait » (Lc 24, 25-27). Pour prouver que Dieu le voulait ainsi d’avance, Jésus prévint ses disciples par ses prophéties : « Le Fils de l’homme doit souffrir beaucoup, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter » (Lc 9, 22).
La Transfiguration est liée à la Croix. Elle devait prémunir les apôtres contre le scandale de la Croix par le dévoilement de la nature glorieuse du Fils de Dieu. Par la présence d’un patriarche, Moïse, et d’un prophète, Élie, elle s’inscrivait dans cette logique de dévoilement progressif : « le Seigneur Dieu ne fait rien qu’il n’en ait révélé le secret à ses serviteurs les prophètes » (Am 3, 7). Nous confessons cette foi dans la divine providence dans le Credo : « il ressuscita le 3e jour, conformément aux Écritures », qui montre l’application d’un plan prévu dès le départ et progressivement révélé !
Jésus savait tout ce qui l’attendait : « Cet homme qui avait été livré selon le dessein bien arrêté [tê hôrismenê boulê] et la prescience [prognôsei] de Dieu, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la Croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité » (Ac 2, 23-24). Et pourtant, cela n’entrave en rien la liberté, donc la responsabilité, le péché de Pilate, Anne, Caïphe etc… Ils ont travaillé, sans le vouloir ni le savoir, pour Dieu.
Dans nos vies, les choses ne prennent souvent un sens qu’a posteriori. Combien de souffrances, intolérables sur le moment, ne s’éclairent-elles pas d’un jour nouveau avec le recul, comme ayant servi de creuset à une grâce bien agissante qui ne se découvre que plus tard ? De même, la Croix permet de jeter un regard rétrospectif illuminateur sur toute l’histoire sainte et lui donne son sens plénier. Tout comme il faut prendre de la distance pour apprécier dans son ensemble un tableau de maître. Ce mystère est rendu accessible par la foi, mais partiellement seulement, dans les grandes lignes mais pas forcément pour nos choix du quotidien ! Le mystère n’est pas quelque chose de ténébreux mais plutôt une surabondance de lumière qui exige une accoutumance progressive de nos yeux, incapables d’en embrasser l’insondable vérité. Vérité qui reste, ne nous leurrons pas, folie pour les hommes (1 Co 1, 23).
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- Nourrir notre espérance au regard de l’histoire sainte
La découverte de ce dessein efficace de Dieu donne aux Chrétiens l’assurance de la victoire finale, mais eschatologique (au niveau personnel ou communautaire). Puisque Dieu achève ce qu’il commence, si nous reconnaissons ce qu’il a déjà fait par le passé, là où l’ancre de la foi peut s’enraciner sur du solide (He 6, 19), nous gagnons en confiance dans l’abandon à ce qu’il fera à l’avenir. L’anamnèse est donc cruciale dans toute prière biblique et liturgique. Elle fait mémoire des hauts-faits (magnalia) de Dieu dans le passé pour croire qu’il continue aujourd’hui et nous mènera à lui demain, même dans les choses du quotidien.
Le terme ‘providence’ est peu employé dans les saintes Écritures mais sa réalité est bien présente. Providence signifie littéralement deux choses : ‘voir en avance, prévoir’ et ‘pourvoir’, donc veiller au bien de quelqu’un. En hébreu, le terme le plus proche serait ‘pequdâh’ (episkope en grec) : « Tu m’as gratifié de la vie et tu veillais avec sollicitude sur mon souffle » (Jb 10, 12). Le terme grec plus classique de ‘pronoia’ apparait : « Ce bateau [...], c’est la sagesse artisane qui l’a construit, mais c’est ta providence, ô Père, qui le pilote » (Sg. 14, 3). Toute l’histoire d’Israël redit que Dieu a prévu un plan qu’il conduit au travers des grands événements (sortie d’Égypte, don de la Loi, conquête de la Terre promise, exil à Babylone…). Chez lui, pensée égale efficacité. Ce n’est pas une simple préscience paralysée, mais une action qui se déploie sur le long terme, alors que l’homme ne vit qu’à la surface des choses : « Le Seigneur dirige les pas de l’homme : comment l’homme comprendrait-il son chemin ? » (Pr 20, 24). D’où la notion de berger, de père qui prend soin des siens. Et cela n’exclue pas les nations autres que le peuple élu : Cyrus, roi des Perses, est clairement un instrument de la volonté divine.
La divine providence vaut pour les communautés comme pour les individus, comme avec le patriarche Joseph : « Le mal que vous aviez dessein de me faire, le dessein de Dieu l’a tourné en bien, afin d’accomplir ce qui se réalise aujourd’hui : sauver la vie à un peuple nombreux » (Gn 50, 20). Comment ne pas y trouver écho de cette vérité profonde : « Nous savons d’autre part que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu, qui sont appelés selon son dessein. Ceux que d’avance il a connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils » (Rm 8, 28). Dieu peut faire advenir d’un mal un bien. Chose que nous ne devrions jamais oublier même si elle est si difficile à vivre.
« Entends-tu bien cela ? De longue date j’ai préparé cela, aux jours anciens, j’en fis le dessein, maintenant je le réalise » (Is 37, 26 et 2 R 19, 25).
« Ainsi parle le Seigneur à son oint, à Cyrus dont j’ai saisi la main droite pour faire plier devant lui les nations et désarmer les rois... C’est à cause de Jacob, mon serviteur, et d’Israël, mon élu, que je t’ai appelé par ton nom, je te donne un titre sans que tu me connaisses » (Is 45, 1-4).