Homélie du 15e dimanche de Pentecôte (1er septembre 2024)
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Lecture thomiste de l’épître (Ga 6, 1-10)
- Comment se comporter à l’égard des inférieurs
Saint Paul s’étant étendu sur les péchés, craignait qu’on ne fût trop sévère envers les pécheurs et recommande douceur et miséricorde en précisant trois circonstances. La surprise d’abord car qui pèche par malice, à froid, prémédite (cf. Jb 34, 27, Vulg : « quasi de industria ») est moins digne de pardon que celui qui, tenté se laisse entraîner. Ensuite, le petit nombre des péchés s’oppose à celui qui mène une vie vicieuse, accumulant toutes sortes de péché (la marquise de Montespan, coupable d’un double adultère, cherchait à ne pas en rajouter d’autres et était très généreuse dans ses aumônes). Osée dénonçait une structure de péché en Israël : « parjure et mensonge, assassinat et vol ; on commet l’adultère, on se déchire » (Os 4, 2). De tels prévaricateurs ne mérite aucune indulgence. La gravité enfin fait qu’une transgression est pire qu’une omission. Elle s’oppose aux préceptes négatifs obligeant toujours et pour toujours contrairement aux préceptes affirmatifs qui n’obligent pas toujours. Idem pour une faute commise par ignorance.
Aux hommes spirituels, il revient de corriger les autres. « L’homme spirituel juge de tout, et il n’est, lui, jugé par personne » (1 Co 2, 15, Vulg.). Comme celui qui a en bouche le goût sain, apprécie avec justesse les saveurs, celui qui a un jugement correct sur toutes choses, est bien disposé à l’égard de tout. Mais la dimension de force impliquée dans le mot ‘esprit’ (Is 25, 4b) ne saurait donner trop de rigidité. Seuls les mauvais pasteurs suivent l’esprit du monde : « vous les avez gouvernées avec violence et dureté » (Ez 34, 4). Au contraire, le Saint Esprit produit dans l’homme suavité et douceur (cf. Sa 12, 1, Vulg.) : « que le juste me reprenne et me corrige avec bonté » (Ps 140, 5). L’apôtre parle d’instruction pour des coupables surpris et non de correction parce que tout pécheur ignore le vrai bien : « Ne s’égarent-ils pas, les artisans du mal ? » (Pr 14, 22). « Prenez garde à vous-mêmes : vous pourriez être tentés, vous aussi » (v. 1). Rien n’adoucit la sévérité de celui qui reprend comme la crainte de sa propre chute : « Jugez de la disposition de votre prochain par la vôtre » (Sir 31, 18, Vulg.).
- Comment se comporter à l’égard des égaux
Saint Paul recommande le support mutuel (v. 2 : « Portez les fardeaux les uns des autres ») de trois manières : en supportant avec patience les défauts du prochain : « nous les forts, nous devons porter la fragilité des faibles » (Rm 15, 1) ; en subvenant aux nécessités mutuelles de nos religionnaires : « partagez avec les fidèles qui sont dans le besoin » (Rm 12, 13) ; en offrant en satisfaction prières et bonnes œuvres pour la dette dont on est redevable : « le frère qui est aidé par son frère, est comme une cité forte » (Pr 18, 19, Vulg.).
« Le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour » (Rm 13, 10). La Loi de Jésus-Christ est appelée loi de charité car cette loi nouvelle se distingue de l’ancienne alliance qui était loi de crainte. Jésus-Christ l’a promulgué par amour : « je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 35). Et il l’a accompli, donnant l’exemple en portant lui-même nos péchés par charité : « c’étaient nos souffrances qu’il portait » (Is 53, 4 ; cf 1 P 2, 24).
« Si quelqu’un pense être quelque chose alors qu’il n’est rien, il se fait illusion sur lui-même » (v. 3). L’orgueil peut faire obstacle. Il arrive qu’on ne porte pas le fardeau d’un autre, comme le Pharisien se préfère aux autres : « Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes » (Lc 18, 11). Tout ce que nous sommes de bien, nous l’avons reçu de la grâce de Dieu : « As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 4, 7 ; cf. 1 Co 15, 10). Nous ne sommes que des ‘serviteurs inutiles’ (cf. Lc 17, 10). Pour éviter tout orgueil, examinons nos propres défauts : « Mon crime, dit David, moi, je le reconnais. Si moi, je reconnais, c’est donc à toi [Dieu] de fermer les yeux. Ne prétendons aucunement que notre vie serait vertueuse et que nous serions sans péché. Pour que notre vie mérite l’éloge, demandons pardon. Les hommes sans espérance, moins ils font attention à leurs propres péchés, plus ils sont curieux des péchés d’autrui. Ils ne cherchent pas ce qu’ils vont corriger, mais ce qu’ils vont critiquer. Et puisqu’ils ne peuvent pas s’excuser, ils sont prêts à accuser les autres » (saint Augustin).
Qui a une âme pure, pourra rendre grâce à Dieu : « ce qui fait notre fierté, c’est le témoignage de notre conscience » (2 Co 1, 12) pour ses dons et il n’en attendra pas la louange des autres. Il possède alors le bien. « Celui qui veut être fier, qu’il mette sa fierté dans le Seigneur » (2 Co 10, 17). Nous serons jugés suivant notre mérite ou démérite, notre ‘propre fardeau’. Si le fardeau de notre propre infirmité peut être porté mutuellement, le fardeau du compte à rendre, du jugement à notre mort, sera personnel. Récompense, « poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous » (2 Co 4, 17) ou pas. L’issue est double, enfer ou Paradis : « qu’il est bon pour le juste de se nourrir du fruit de ses actes ! Quel malheur, hélas, pour le méchant d’être traité selon l’œuvre de ses mains ! » (Is 3, 10).
« Faites confiance à ceux qui vous dirigent et soyez-leur soumis ; en effet, ils sont là pour veiller sur vos âmes, ce dont ils auront à rendre compte » (He 13, 17) ne signifie pas que les supérieurs devraient rendre compte des péchés de leurs subordonnés mais seulement des leurs, y compris dans leur devoir de pasteur auxquels le soin des âmes à eux confiés (portion du peuple de Dieu). Les mauvais pasteurs (Ez. 34) sont vilipendés par saint Augustin. Ils doivent exercer la correction fraternelle ou paternelle, eux qui surveillent (épiskopoi pour évêques en grec).
- Comment se comporter à l’égard des supérieurs
Comment l’inférieur doit-il s’acquitter de l’obéissance à l’égard du supérieur ? On peut communiquer d’abord en recevant docilement un sage enseignement et en imitant le maître comme dans une chaîne apostolique de maître à disciple : « Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ » (1 Co 11, 1). Sans gourou toutefois car le disciple dépasse parfois le maître humain par une plus grande vertu. Le Christ nous a ainsi mis en garde contre les pharisiens : « tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas ». Eux manquent de l’autorité qu’avait le Christ qui vivait de son propre enseignement (exhousia).
Le catéchiste, instruisant dans la foi a le droit d’en vivre. Il devrait donc être pris en charge par la communauté des fidèles (Is 1, 19).Si le prêtre doit vivre de l’autel, il pourrait vivre de la chaire d’où il prêche : « le Seigneur a prescrit à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de la proclamation de l’Évangile » (1 Co 9, 14). Même si saint Paul travailla comme fabricant de tentes (1 Co 9, 15 et Ac 18, 2-3) pour ne pas peser économiquement sur ses communautés, il n’en demeure pas moins que « l’ouvrier, en effet, mérite sa nourriture » (Mt 10, 10), son salaire (Lc 10, 7). La dîme, l’impôt de l’Église, s’enracinent en Abraham donnant le dixième de ses biens à Melchisédech (Gn 14, 20 ; He 7, 4). Mais en réalité, on doit partager aussi son charisme (1 P 4, 10), ses compétences, ses conseils, son temps.
« Ne vous y trompez pas; on ne se moque pas de Dieu » (v. 7, Vulg.). Qui s’exonérerait en prétextant du mauvais exemples des supérieurs se trompe. Tout supérieur dans le péché donnant un ordre contraire à la loi de Dieu doit être désobéi. Cela aurait évité bien des abus spirituels ou sexuels dans le clergé ! Interrogeons-nous : à sa place, le Christ, bon pasteur sans péché, pourrait-il demander cela ? Dieu n’est pas dupe de ces fausses excuses. « Il se moque des moqueurs » (Pr 3, 34). Si les Galates, destinataires de l’épître, se prétendaient pauvres, n’ayant rien à communiquer, Dieu sonde les cœurs, connaît les ressources. « Ce que l’on a semé, on le récoltera » (v. 7). L’homme, suivant ses œuvres, bonnes ou mauvaises, grandes ou petites, sera ou récompensé ou puni. Et « à semer trop peu, on récolte trop peu ; à semer largement, on récolte largement » (2 Co 9, 6).
- Œuvrons au bien, surtout envers nos frères dans la foi
Semer dans la chair, c’est œuvrer pour le corps : ‘j’ai beaucoup dépensé/fait pour cet homme’. Mais on risque alors de moissonner la corruption car la semence fructifie plus ou moins selon la condition du sol. Le froment dégénère, voire s’altère. Tout ce qui est charnel est corruptible et « toute œuvre corruptible disparaît, et son auteur s’en va avec elle » (Sir 14, 19). Donc « si vous vivez selon la chair, vous allez mourir » (Rm 8, 13). Semer spirituellement revient à s’en remettre à l’Esprit, se soumettant par là à la justice par la foi et la charité. L’Esprit est principe de vie (Jn 6, 63) éternelle puisqu’il communique l’immortalité de Dieu.
Nous ne lassons jamais d’œuvrer au bien (v. 9). Persévérons tant que nous sommes ici-bas (le temps nous est compté) parce que nous attendons une récompense éternelle dans l’au-delà : « Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le avec la force dont tu disposes, car il n’y a ni travaux, ni projets, ni science, ni sagesse au séjour des morts où tu vas » (Qo 9, 10, cf. Jn 9, 4). Si l’homme ne met pas de terme à son travail, Dieu n’en mettra pas à la récompense. Cette récompense est différée « en son temps » (v. 9). Le laboureur : « attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive » (Jc 5, 7).
Vis à vis du pécheur, distinguons sa nature humaine et sa faute morale. Sa nature a droit à notre amour, à notre appui, fût-il notre ennemi (Mt 5, 44). Mais sa faute doit être chassée. « Donnez au juste, et n’assistez pas le pécheur » (Sir 12, 5, Vulg.) dit : ne l’aidez pas parce qu’il est pécheur, mais parce qu’il est homme. « Ne soyez ni faible pour juger, inhumain pour secourir » (saint Augustin). Poursuivons dans les méchants l’iniquité qui leur est personnelle, mais ayons compassion d’une nature qui nous est commune. Toutefois, comme nous ne pouvons pas faire du bien à tous indistinctement, respectons l’ordre « mais principalement aux serviteurs de la foi » (v. 10), précepte souvent oublié. Les premiers à assister sont nos frères dans la foi, qui ont en commun la grâce de l’adoption divine (cf. Ép 2, 19). « Si quelqu’un ne s’occupe pas des siens, surtout des plus proches, il a renié la foi, il est pire qu’un incroyant » (1 Tm 5, 8).
Il est bien permis d’aimer plus l’un que l’autre. Aimer, c’est lui vouloir du bien. Aimer plus, est lui vouloir un plus grand bien (objet de l’amour) ou davantage ce bien (affection plus grande). Quant au premier sens, nous devons aimer tous les hommes également en leur voulant la vie éternelle. Quant au second sens, rien n’oblige à aimer indistinctement car l’intention est la ressemblance et l’union. Nous devons plus aimer ceux qui nous ressemblent plus et nous sont plus unis comme notre famille, nos amis, nos frères dans la foi.