N.D. du Rosaire (06/10 - lect. thom. év.)

Homélie de la solennisation de ND du Rosaire (6 octobre 2024)

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Lecture thomiste de l’évangile (Lc 1, 26-38)

L’Église fête la conception virginale de NSJC le 25 mars, neuf mois jour pour jour avant sa Nativité le 25 décembre. Cela intervint juste après l’équinoxe de printemps lorsque la lumière l’emporte sur les ténèbres de notre terre : « La vie était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée » (Jn 1, 5).

  1. Irruption de Dieu dans la vie de Marie
  1. Le messager du Tout-Puissant : l’archange Gabriel

Les esprits célestes du monde angélique (ceux du moins qui ne sont pas anges-gardiens) demeurent normalement auprès de Dieu qu’ils servent en l’adorant : « leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux » (Mt 18, 10). Mais ponctuellement, leur fonction de messagers (étymologie de angelos : nouvelle comme dans évangile : bonne nouvelle), fait qu’ils sont envoyés pour une mission auprès des hommes. Parmi les anges des deux derniers niveaux de la hiérarchie céleste, ceux qui sont au service des hommes, un archange tient une place éminente comme un archevêque est supérieur à un évêque. Seuls trois sont nommés : Michel, Raphaël et aujourd’hui Gabriel ou ‘force de Dieu’. Jésus est le fils du Dieu des armées (Deus sabbaoth), né de la Très Sainte Vierge Marie, « terrible comme une armée rangée en bataille » (‘terribilis ut castrorum acies ordinata’, Ct 6, 3, Vulg.) car se prépare la première manche du grand combat eschatologique contre les forces du mal.

La Rédemption franchit un cap essentiel pour la réparation de la faute originelle. Si le démon, ange déchu, avait commencé l’œuvre de notre perte en envoyant le serpent à la femme pour la séduire par l’esprit d’orgueil, Dieu envoya un ange à une vierge humble qu’un enfantement divin devait consacrer, elle qui par son Assomption devint reine des anges. La virginité seule était digne d’enfanter celui qui, dans sa naissance, n’avait d’égal. Notre chef, par un miracle éclatant, devait naître d’une vierge selon la chair et figurer ainsi que l’Église vierge donnerait à ses membres une naissance toute spirituelle.

  1. La destinataire : une Vierge mariée !

Cette vierge était pourtant destinée à se marier. Il fallait que sa virginité fût à l’abri de tout déshonneur, alors que sa grossesse aurait été pour tous un indice de corruption. Le Seigneur aima mieux voir quelques-uns douter de sa naissance immaculée, que de la pureté de sa mère. Le prince de ce monde, la voyant engagée dans les liens du mariage, ne pouvait soupçonner son enfantement virginal qui sinon l’aurait mis sur la piste d’un miracle divin. Joseph témoigne fidèlement et sûrement de la virginité de Marie. Il aurait pu se plaindre de l’outrage qui lui était fait, et en poursuivre le châtiment, s’il n’eût connu le mystère de cet enfantement. Joseph et Marie appartenaient pour certains théologiens à la même tribu de David puisque sa filiation n'était pas qu’adoptive. Marie signifie en hébreu ‘étoile de la mer et en syriaque ‘maîtresse’ car elle enfanta le Maître du monde, et la lumière éternelle qui nous dirige au milieu des flots.

La situation de la TS Vierge Marie est en contraposition avec Ève pour qui l’enfantement dans la douleur punit justement le péché. Pour Marie, la tristesse fit place à la joie. La « pleine de grâce » est proclamée digne de l’union à Dieu pour devenir la mère du Messie. Cette plénitude de grâce est le gage ou la dot destinée à son époux. Si la grâce n’est reçue que partiellement par les autres créatures marquées du péché originel, Marie, par le privilège de son Immaculée Conception, n’opposa aucun obstacle à son plein déploiement. Elle fut inondée des eaux abondantes de l’Esprit saint. Celui qui avait envoyé son ange à cette Vierge était déjà avec elle, le Seigneur avait précédé son ambassadeur  et le Dieu qui remplit tout de son immensité, ne pouvait être retenu par la distance des lieux : « Le Seigneur est avec vous ».

  1. « Rien n’est impossible à Dieu »
  1. Prudence de Marie

« À cette parole, elle fut toute bouleversée ». Marie examine ce qu’on lui dit. Si elle ne résiste pas ouvertement par incrédulité, elle ne croit pas aussitôt à la légère, évitant à la fois les deux écueils de la légèreté d’Ève comme de l’obstination de Zacharie. Car elle ignorait encore la grandeur du mystère qui allait s’accomplir en elle. Cette salutation n’était pas inspirée par la passion d’un homme se languissant d’une vierge (comme le meurtrier de sainte Maria Goretti) mais était divine : « Le Seigneur est avec vous ». Comme Jésus fit comprendre qui il était véritablement à sainte Marie-Madeleine au jardin en l’appelant par son prénom (Jn 20, 16) Marie, l’ange vainquit le trouble de la Vierge en la nommant, comme s’il la connaissait plus familièrement « Sois sans crainte, Marie ». Elle trouva grâce auprès de Dieu par son humilité (Jc 4, 6 ; 1 P 5, 5) et sa pureté. Son âme était sans tâche car elle avait toujours préféré Dieu. Elle enfantera le Sauveur du monde. Le Verbe divin, venu purifier la nature humaine, notre naissance, l’origine de notre génération, fut conçu comme nous dans la chair, et porté neuf mois dans le sein de sa mère mais à l’exception du péché et du concours de la semence de l’homme.

Si une femme peut légitimement craindre la délivrance, l’ange calma ces appréhensions par les charmes de l’enfantement annoncé : « Et vous l’appellerez Jésus » qui signifie ‘Dieu sauve’, un nom inconnu parmi ceux de l’Éternel : « On vous nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera » (Is 62, 2). Certes Josué, successeur de Moïse portait ce prénom de Yeshouah car Jésus devait faire entrer le peuple de Dieu dans sa vraie patrie céleste par son baptême au même endroit que la traversée du Jourdain après les 40 ans d’errance dans le désert par Jean-Baptiste. Justement, la qualification du Fils de Marie de ‘grand’ rappelle son cousin : « Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste » (Mt 11, 11). Cette grandeur n’était qu’humaine, tandis que Jésus le sera d’une grandeur toute divine. La puissance de Dieu se répand au loin. Limitée par aucun lieu, elle est incompréhensible à l’esprit humain, supérieure à toutes nos pensées, inaccessible aux variations des temps. « Savoir prodigieux qui me dépasse, hauteur que je ne puis atteindre ! Où donc aller, loin de ton souffle ? où m'enfuir, loin de ta face ? Je gravis les cieux : tu es là ; je descends chez les morts : te voici » (Ps 138, 7-8).

L’Incarnation du Fils de Dieu ne porte pas la moindre atteinte à la majesté divine, au contraire, elle élève jusqu’aux cieux notre pauvre humanité : « Et il sera appelé Fils du Très-Haut » avec le passif divin. Consubstantiel à lui, le Père seul a la connaissance parfaite de son Fils. Dans sa bouche le nom donné à son fils ne peut être qu’infaillible. Il peut seul aussi lui donner le nom qui lui convient : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mt 3, 7 ; 17, 15). Rien d’inconvenant à ce que Dieu fasse son habitation d’un corps mortel. Le soleil qui pénètre tout de ses rayons, n’en perd pas son éclat ! À plus forte raison le soleil de justice, prenant un corps très pur dans le sein d’une vierge, ne perd rien de sa pureté et ajoute à la sainteté de sa mère.

  1. Puissance de Dieu et humble accueil de Marie

L’ange remémora chez Marie les prophéties : « Et Dieu lui donnera le trône de David son père », afin qu’elle sût sans aucun doute possible qu’elle deviendrait mère du Messie ou Christ, l’oint de Dieu. Ce trône n’était pas celui temporel de David occupé par Hérode le Grand, client de Rome, mais son royaume immortel : « Et il régnera pour toujours sur la maison de Jacob ». Il entendait par là les Juifs croyants en lui : « ceux qui sont nés d’Israël ne sont pas tous Israël. Et tous ceux qui sont la descendance d’Abraham ne sont pas pour autant ses enfants (…) mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés comme descendance » (Rm 9, 6-8), autrement dit l’Église, olivier sauvage greffé sur l’olivier franc par la foi (Rm 11, 17.24). Ce royaume immortel n’aura pas de fin puisqu’il est de Dieu. Le Christ règnera aussi en tant qu’homme. Actuellement, il règne déjà sur un grand nombre, mais à la fin des siècles, son empire s’étendra sur tous sans exception, lorsque toutes choses lui seront soumises.

Marie ne refusa pas de croire mais resta prudente. « Comment cela se fera-t-il ? » était une question plus mesurée que celle de Zacharie refusant de croire ce qu’il ne comprenait pas, demandant des motifs de crédibilité : « Comment vais-je savoir que cela arrivera ? » (Lc 1, 18). Marie, au contraire, ne s’inquiétait que de la manière dont s’accompliraient ces paroles auxquelles elle adhérait car elle savait « qu’une vierge concevra et enfantera un fils » (Is 7, 14, Vulg.) mais ignorait le mode. Attachée à sa virginité, marque de sa consécration à Dieu : « Je ne connais point d’homme » signifiait qu’elle n’avait pas de relations sexuelles avec Joseph, comme dans un couple normal.

Mais ne cherchez pas les lois de la nature, là où la nature est dépassée par la sublimité des choses annoncées ! C’est justement parce que vous n’avez pas connu votre époux, que ce mystère doit s’accomplir en vous. Si vous aviez connu un homme, vous n’en auriez pas été jugée digne. Le mariage est saint aux yeux de Dieu, mais la virginité ou le célibat consacré lui sont supérieurs. Si le Seigneur naît d’une femme, se rendant semblable à nous, il fut conçu et naquit en dehors des lois ordinaires car il Dieu. Il est déjà peu d’âmes pures dans lesquelles l’Esprit saint se complaise à demeurer, mais il n’est qu’une chair où il se reposa pour en faire son tabernacle : « la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ». L’ombre résulte de la lumière interposée avec un corps comme la divinité cachée par l’humanité du Fils se revêtant d’un corps dans le sein d’une femme, Marie (Ga 4, 4).

La sainteté de Jésus diffère totalement de celle que nous pourrions recevoir par grâce. Lui ne l’acquiert pas, il la possède dès l’origine, contrairement à nous : « Moi, je suis né dans la faute, j'étais pécheur dès le sein de ma mère » (Ps 50, 7). En rappelant le miracle de la conception dans sa vieillesse d’Élisabeth, l’ange choisit un exemple plus récent que Sara, Rébecca ou Rachel, trop anciens. Marie était aussi de la famille d’Aaron, car le dessein providentiel voulut unir le sang royal à la race sacerdotale, afin que Jésus-Christ, prêtre et roi, eût pour ancêtres selon la chair les prêtres et les rois. Aaron, de la tribu de Lévi, avait épousé déjà une Élisabeth, fille d’Aminadab, de la tribu de Juda (Ex 6, 23). Tout est possible à Dieu.

Celle qui fut choisie pour être la mère de Dieu se proclama sa servante. Par un mystère vraiment ineffable, la même Vierge dut à une conception sainte et à un enfantement virginal d’être la servante du Seigneur, et sa mère selon la vérité des deux natures. Elle ne conçut aucun orgueil d’une promesse aussi inespérée. Elle anticipait celui qui était « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29) qu’elle enfanterait. Elle ne s’attribua aucune part dans cette grâce si extraordinaire mais obéit promptement.

Date de dernière mise à jour : 06/10/2024