Homélie du 22e dimanche après la Pentecôte (20 octobre 2024)
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L’acception des personnes (Mt 22, 15-21)
Une nouvelle fois, ses ennemis Pharisiens et Hérodiens tentent de confondre le Sauveur. Mais leur captatio benevolentiæ évoque en passant un vice opposé à la justice : l’acception des personnes : « en effet, vous ne regardez par la personne des hommes » (non enim réspicis persónam hóminum /·οὐ γὰρ βλέπεις εἰς πρόσωπον ἀνθρώπου) pour dire : ‘vous ne cherchez pas à plaire aux hommes mais à Dieu’ (cf. 1 Th 2, 4). Démasquons avec saint Thomas (II-II, 63) dans nos vies ce péché plus répandu qu’il n’y paraît.
- Le péché d’acceptation des personnes
- Un péché contre la justice distributive
Qui comprend concrètement cette interdiction de l’ancienne Alliance : « Vous ne ferez pas acception des personnes » (Dt 1, 17) ? On la paraphrase parfois en « lorsque vous jugerez, vous n’agirez pas avec partialité : vous écouterez aussi bien le petit que le grand ; vous n’aurez peur de personne, car le jugement appartient à Dieu ». Le riche doit donc être jugé comme le pauvre et le pauvre ne doit pas être privilégié non plus. Mais cela concerne pas que les magistrats mais tout le monde !
La justice se subdivise en justice commutative et distributive. L’égalité de la justice distributive consiste à accorder des choses diverses à différentes personnes proportionnellement à leurs mérites, à leur dignité. Il n’est nullement contraire à la justice ni à l’égalité de ne pas donner à tous la même chose, en fonction de ce qu’ils sont/ont comme compétences. Nommer un professeur implique de vérifier ses compétences scientifiques et d’écarter les incompétents, sur ce critère réel, objectif. Mais entre deux candidats également compétents, privilégier Pierre plutôt que Martin pour de mauvaises raisons, purement subjectives (j’aime les gens aux yeux bleus), c’est faire acception des personnes. Cette qualité n’implique pas une plus grande dignité/idonéité. Une qualité peut encore servir dans un cas mais pas dans l’autre. Que X soit le fils de Y lui donne plus de droits que tout autre à l’héritage de ses parents, mais pas à ce qu’il soit élevé au rang épiscopal.
On objectera que Dieu, pourtant, ne traite pas tout le monde également puisque certains reçoivent la grâce d’être sauvés et pas d’autres : « alors deux hommes seront aux champs : l’un sera pris, l’autre laissé » (Mt 24, 40). Distinguons bien deux sortes de dons. Les uns relèvent de la stricte justice quand on donne à autrui ce qu’on lui doit. L’acception des personnes ne vaut que dans ceux-là. Les autres dons dépendent de pure libéralité quand on donne gratuitement ce qui n’est pas un dû, comme Dieu avec la grâce. Pour ces largesses, chacun accorde librement ses faveurs autant qu’il veut et à qui il veut, sans injustice d’après la parabole des ouvriers de la onzième heure : « n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? » (Mt 20, 14-15).
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- Un péché trop répandu dans l’Église ?
Saint Jacques réprouve l’acception des personnes dans l’Église : « dans votre foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire, n’ayez aucune partialité envers les personnes » (Jc 2, 1 : nolite in personarum acceptione habere fidem Domini nostri Iesu Christi gloriæ). Saint Augustin renchérit : « Qui tolérerait qu’on élève un riche à un siège d’honneur dans l’Église, au mépris d’un pauvre plus instruit et plus saint ? ». Certes, la richesse ne sera pas un critère aujourd’hui, mais aller dans le sens du courant dominant ne l’est-il pas devenu ? Il serait bon que les évêques soient à la fois saints et politiques mais qu’on ne prenne pas pour évêques que des gens ne faisant pas de vagues bien du moule contraire à la tradition bimillénaire de l’Église !
L’acception des personnes pour nommer aux postes à responsabilité est un péché encore plus grave dans l’Église car les réalités spirituelles dominent les temporelles. Attribuer une charge à qui n’en est pas digne, au détriment d’un candidat mieux doté, serait scandaleux. Même si dans l’absolument (simpliciter), la sainteté d’une personne est plus grande, relativement (per comparationem) au bien commun, un fin politique pourrait être plus utile qu’un grand saint pour mener l’Église car « à chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous » (1 Co 12, 7). Dieu donne parfois des charismes à des moins bons. On n’est jamais contraint de choisir le meilleur absolument pourvu que le candidat retenu soit quand même au moins bon. Mais il faut alors que le motif soit rapporté à la charge à exercer. Il fut un temps, l’Église pratique le népotisme. On confiait à sa parenté des charges séculières, voire ecclésiastiques. Saint Thomas ne le récuse pas totalement pourvu que les neveux d’un prélat ne soient pas moins dignes mais de même niveau « alors on peut légitimement les préférer sans se rendre coupable d’acception des personnes, parce qu’ils offrent au moins cet avantage que le prélat pourra avoir plus de confiance en eux et qu’ils administrent d’un commun accord avec lui les affaires de l’Église ». Mais la généralisation impliquerait d’arriver à confier des charges à des gens indignes car tout le monde n’est pas saint Charles Borromée, neveu des papes Pie IV et surtout Paul IV.
Signalons au passage l’oubli total en France (sauf pour Paris) du principe de nommer évêque un candidat issu du sein même de l’Église locale (« eligendus est aliquis ‘de gremio Ecclesiæ’ » (Décrétales Grégoire IX, lib. I, tit. VI, cap. 32, Cum dilectus, RF II, 78) parce qu’ordinairement, il en servira mieux le bien commun, aimant davantage cette Église-mère : « tu ne pourras pas te donner un roi étranger qui ne serait pas l’un de tes frères » (Deut 17,15).
À ceux qui objectent que les reconnaissances de nullité de mariage semblent plus facilement accordées aux riches et aux puissants (Caroline de Monaco, la reine Letizia d’Espagne) plutôt qu’aux gens du peuple ? Au Moyen Âge et à l’époque moderne, les dispenses pour degré prohibé étaient accordées aux familles princières « surtout pour garantir l’union dans la paix, et cela importe davantage au bien commun lorsque des personnes haut placées sont en cause. C’est pourquoi, si on leur accorde plus facilement la dispense, on ne commet pas d’acception des personnes ».
- L’application dans le monde
- Faut-il rendre les honneurs à une personne mauvaise ?
L’honneur devrait normalement témoigner de la vertu d’autrui. Toutefois princes ou prélats peuvent être légitimement honoré, non pour leur vertu propre quand ils en sont dépourvus mais en vertu de la place de Dieu qu’ils tiennent et de la communauté dont ils ont la charge. Toutefois aujourd’hui un président de la république prétend être le candidat choisi par la souveraineté populaire. L’origine de son pouvoir vient d’en bas et plus d’en haut. Or le peuple n’est pas infaillible mais versatile. Dieu ne veut pas tout ce qui advient de volonté positive mais parfois tolère simplement.
Pour la même raison, on doit honorer ses parents et ses maîtres parce qu’ils participent de la dignité de Dieu, Père et Seigneur de tout. Les vieillards peuvent être honorés pour la vertu que symbolise la vieillesse (Lv 19, 32), encore qu’il ne faille pas exagérer : « La dignité du vieillard ne tient pas au grand âge, elle ne se mesure pas au nombre des années. Pour l’homme, la sagesse tient lieu de cheveux blancs, une vie sans tache vaut une longue vieillesse » (Sg 4, 8-9). En effet, Daniel débusqua le faux-témoignage des vieillards libidineux qui en voulaient à la vertu de Susanne : « le crime est venu de Babylone par des anciens, par des juges qui prétendaient guider le peuple » (Dn 13, 5). Les riches ne peuvent être honorés particulièrement que par l’influence plus grande qu’ils exercent dans la société, pourvu qu’elle soit bien utilisée.
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- Acception des personnes et jugement
Le jugement est un acte de justice par lequel le juge ramène à l’égalité ce qui peut constituer une inégalité contraire. Or, l’acception des personnes entraîne une certaine inégalité, du fait qu’elle attribue à telle personne plus que sa part, en laquelle consiste l’égalité de la justice. Il est donc évident qu’un tel jugement serait vicié par l’acception des personnes. Mais un crime de lèse-majesté est puni plus sévèrement comme aujourd’hui toute action contre une personne détenant l’autorité et dans l’exercice de ses fonctions, sans qu’il n’y ait de péché car la différence de dignité des personnes est alors objective. Par contre, le criminel abusant de sa position d’autorité verra sa responsabilité accrue d’autant. Un pauvre doit être aidé mais pas au prix de l’injustice : « Tu ne favoriseras pas un faible dans son procès » (Ex 23, 3).
Conclusion :
Péchons-nous parfois par acception des personnes ? Peut-être n’osons-nous pas dire la vérité sans chercher à plaire ? « Maintenant, est-ce par des hommes ou par Dieu que je veux me faire approuver ? Est-ce donc à des hommes que je cherche à plaire ? Si j’en étais encore à plaire à des hommes, je ne serais pas serviteur du Christ » (Ga 1, 10). Certes, asséner brutalement une vérité pourrait être contre-productif et la prudence comprend la circonspection qui, littéralement, regarde autour d’elle si les conditions sont réunies pour porter du fruit. Toutefois, atteingnons ce degré de liberté intérieure enseigné par St. Paul : « Pour ma part, je me soucie fort peu d’être soumis à votre jugement, ou à celui d’une autorité humaine ; d’ailleurs, je ne me juge même pas moi-même. Ma conscience ne me reproche rien, mais ce n’est pas pour cela que je suis juste : celui qui me soumet au jugement, c’est le Seigneur » (1 Co 4, 3-4). Dénonçons toujours le mal, sans attendre d’être un saint. Et que cela nous encourage à purifier nos propres vies pour être des modèles face aux ennemis de Dieu.