21e Pentecôte (13/10 - lect. thom. év.)

Homélie du 21e dimanche après la Pentecôte (13 octobre 2024)

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Les deux serviteurs débiteurs (Mt 18, 23-35)

  1. L’attitude divine face à la dette humaine
    1. Les débiteurs et l’ampleur de la dette

Le Royaume des Cieux n’est rien d’autre que Dieu Lui-même, auquel nous accédons par la seconde Personne de la Trinité, Jésus, notre Sauveur, le maître, le roi de la parabole. Le Royaume est la Patrie céleste figuré et anticipé dès ici-bas par l’Église de Dieu. Au sens strict, les serviteurs du maître sont les prélats de l’Église catholique, auxquels est confiée la charge d’âmes. Au sens large, tout homme à qui la garde de son âme est confiée pour se sauver.

Tous, nous rendrons des comptes de nos actes (cf. Mt 12, 36) à notre jugement particulier intervenant immédiatement à notre mort. Mais lorsque nous entrons en tribulation, notre fidélité est éprouvée car nous pouvons déjà être purifiés ici-bas de nos péchés (cf. 1 P 4, 14-17). Chacun doit donc examiner régulièrement sa conscience pour ne pas la laisser trop chargée : « Examinons nos chemins, scrutons-les et revenons au Seigneur » (Lam 3, 40).

10.000 talents ou 60 millions de drachmes est une somme énorme symbolisant la multitude de nos péchés, soit la puissance trois pour chacun des dix commandements : « parce que j’ai péché plus que le nombre des grains de sable de la mer, mes iniquités se sont multipliées » (Manassé 1, 11).

    1. Toujours prêt ?

L’homme doit toujours être prêt à comparaître devant le Christ juge, à toute heure de sa vie car il en ignore le terme fixé par la Providence Divine. Avant que la mort ne devînt le tabou actuel, la vie était appelée une longue préparation à la mort. On s’y préparait toujours, sans procrastiner une confession, réglant ses affaires terrestres par un testament. Les prédicateurs représentaient l’enfer pour inciter les gens à se mettre en règle avec Dieu sans repousser la pénitence, de peur que ce temps de résipiscence ne leur échappât à l’improviste. L’Ars moriendi décrivait la bonne mort chrétienne patronnée par saint Joseph. La mort était acceptée socialement. On mourrait entouré de ses parents, amis et voisins, muni des derniers sacrements : la dernière confession et absolution, l’extrême-onction pour obtenir la force de lutter contre les ultimes tentations diaboliques de l’agonie et la dernière communion ou viatique, nourriture spirituelle pour le voyage vers l’au-delà.

Une personne repoussant trop ces sacrements exposerait son âme à un grand péril, surtout si elle avait commis des péchés mortels non confessés. L’impératrice Zita dans son recueil De choses et d’autres rapporte deux récits édifiants. En Inde, un officier anglais catholique avait sans cesse repoussé le moment de se confesser, malgré l’insistance de la missionnaire qui le soignait pour lui amener un prêtre. Après il fut trop tard : son dernier regard semble clairement indiquer qu’il a vu qu’il irait ainsi en enfer. L’autre concerne la présomption d’un capitaine de navire français à Smyrne qui, malgré un prêtre ami l’objurguant à renoncer à son chemin de perdition pour éviter l’enfer, remettait toujours sa confession tout en promettant de l’appeler s’il sentait sa fin approcher. Mais le jour venu, l’ayant envoyé chercher, le prêtre ne put venir car il s’était absenté pour une tournée de mission. « L’heure de la grâce, c’était maintenant, qui pouvait savoir s’il trouverait, à l’heure de sa mort, la main de Dieu qu’il avait si souvent repoussée ? ».

Aujourd’hui les gens rêvent de mourir d’une ‘bonne’ (sic) crise cardiaque dans leur sommeil, pour ne pas souffrir, ce qui aurait fait frémir autrefois. Le culte de saint Christophe préservait de la mort subite et on le priait chaque jour en regardant sa représentation, parfois très grande dans les pays d’Europe Centrale, voire sur un mur extérieur à l’église, pour qu’on pût le voir de loin, sans même rentrer dans l’édifice !

    1. L’exigence de la justice puis la remise de la dette

Le maître veut obtenir réparation. Une personne est punie lorsqu’elle n’a pas de quoi satisfaire par elle-même, que tout ce qu’elle a ne suffirait pas (« comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser » (v. 25) : « qu’offrirai-je de digne au Seigneur ? » (Mi 6, 6 Vulg). Devant Dieu, nous avons toujours les mains vides. Tout bien que nous fassions est une grâce divine. La seule chose en propre que nous ayons est notre péché : offrons-le lui par notre contrition. Le serviteur vendu, un prix est fixé et ce prix du péché est donc la peine. « c’est à cause de vos fautes que vous avez été vendus » (Is 50, 1). Les fils sont les œuvres, la femme la concupiscence, racine du péché. Tous ses biens sont les dons de Dieu mal utilisés.

La miséricorde divine est provoquée par la prière : « Mon fils, tu as péché ? Ne recommence plus, mais demande pardon pour le passé » (Sir 21, 1). Trois qualités le recommandent au maître. Sa position prosternée indique l’humilité: « tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné » (Mt 18, 26), or le Seigneur regarde la prière des humbles (Ps 101, 18 Vulg). Le débiteur implore avec discrétion ou discernement, ne réclamant pas que lui fût remise toute la dette mais seulement un délai pour satisfaire, payer son dû. Enfin, « je te rembourserai tout » indique le désir de justice, le but à atteindre étant de plaire vraiment à Dieu comme David exprimant le mieux son repentir : « alors on offrira des taureaux sur ton autel » (Ps 50, 21).

Moins la douleur du pénitent que la miséricorde du maître cause la rémission de la dette car l’action de l’homme est bien peu par rapport à ce que Dieu fait : « il ne s’agit donc pas du vouloir ni de l’effort humain, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Rm 9, 16). La preuve en est que le maître donne plus que l’homme n’osait demander : « Dieu tout-puissant et éternel, qui dépassez par l’abondance de votre bonté les mérites et les vœux de ceux qui vous prient » (collecte 11e dimanche après la Pentecôte). Une grande contrition peut effacer tous les péchés.

  1. L’attitude de l’homme face à un débiteur
    1. L’ingratitude humaine

L’ingratitude du débiteur est aggravée par cinq facteurs. Il agit exactement au contraire de son maître le jour même, ne pouvant prétexter l’oubli des bienfaits du maître. Il agit comme un pénitent retournant immédiatement à ses vomissures au sortir du confessionnal : « Le chien retourne à son vomissement, et : La truie, sitôt lavée, se vautre dans la boue » (2 P 2, 22, cf. Pr 26, 11). « Si quelqu’un écoute la Parole sans la mettre en pratique, il est comparable à un homme qui observe dans un miroir son visage tel qu’il est, et qui, aussitôt après, s’en va en oubliant comment il était » (Jc 1, 13-24). Il connaît l’autre serviteur « un de ses compagnons », son égal. La somme due en quantité, 100, est très modeste, comparée aux 10.000, mais plus encore en deniers au lieu des talents : 450.000 fois moins, des peccadilles ! Les péchés contre Dieu sont plus graves et nombreux que ceux contre les hommes, plus légers, dus à la faiblesse. Le serviteur mauvais est cruel, maltraitant son compagnon : « Il se jeta sur lui pour l’étrangler » (Mt 18, 28). Il est dur en rejetant la supplique alors qu’il avait fait de même auprès du maître (‘rogabat’ remplace ‘orabat’ car il s’agit d’un homme et plus Dieu le maître). « Le méchant n’a que cruauté à la place du cœur ! » (Prov 12, 10).

    1. La peine pour l’ingratitude

Les autres compagnons réprouvent ce péché par une solidarité naturelle, dévoyée chez le mauvais serviteur : « Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance » (1 Co 12, 26). « Pleurez avec ceux qui pleurent » (Rm 12, 15). Ils implorent la justice divine car « un pauvre crie ; le Seigneur entend : il le sauve de toutes ses angoisses » (Ps 33 (34), 7). Le maître convoqua (v. 32) par la mort, rappel à Dieu où nous sommes jugés. Dieu, par ses objurgations, lui reproche sa malice, les bienfaits reçus, rappelant ce qu’il devait faire. L’opprobre ne porte pas sur sa colossale dette antérieure non soldée mais sur l’injustice de sa conduite. Il n’est pas étonnant que l’homme pèche, c’est humain. Mais persévérer dans le péché est diabolique. Toi qui a reçu de si grands bienfaits, ne devais-tu pas te consacrer à faire de simples et petites bonnes actions, à ta portée ?

La peine est la damnation, séparation d’auprès de Dieu (au v. 25 pour le vendre, le maître n’était pas en colère, au contraire du v. 34). Il fut averti par miséricorde, là vient la colère de Dieu comme justice répressive. Après la peine principale de l’enfer (« son maître le livra ») vient la peine des sens (« aux bourreaux »), les deux éternelles (« jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait ») car qui meurt en-dehors de la charité ne peut satisfaire pour ses péchés. Dieu le Père ne remettra pas les péchés si nous ne les remettons pas : « Remettez-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs » (Mt 6, 12).

Conclusion :

« Tout homme, sans doute, a son frère pour débiteur ; car quel est l’homme qui n’ait jamais été offensé par personne ? Mais quel est l’homme aussi qui ne soit le débiteur de Dieu, puisque tous ont péché ? L’homme est donc à la fois débiteur de Dieu, créancier de son frère. C’est pourquoi le Dieu juste t’a posé cette règle d’en agir avec ton débiteur comme il le fait avec le sien » (saint Augustin, sermon 83, 2). Tous les hommes sont pécheurs puisque le juste pèche cette fois par jour (Pr 24, 16). Nous contractons une dette bien plus grande que celle d’argent. Nous ne devons pas nous coucher sans demander pardon à Dieu par un examen de conscience comme le prescrit l’Église aux clercs tenus à la récitation de l’Office divin (bréviaire), pour les complies. Cela prépare la prochaine confession sacramentelle. Nous ne savons pas si nous vivrons jusqu’à demain ! Oublions donc les rancunes, pardonnons les injustices. Tu appelles Dieu ton Père, et tu gardes mémoire d’une injure ! Ce n’est pas là le fait d’un fils de Dieu ! Nous aurons la même mesure que celle que nous employons (Mt 7, 2).

Date de dernière mise à jour : 13/10/2024