Homélie du 6e dimanche après l’Épiphanie transféré – 17 novembre 2024
Lecture thomiste (Mt 13, 31-35)
Paraboles de la graine de moutarde et du levain
Dans l’évangile du jour (Mt 13, 31-35), le Seigneur montre par deux paraboles les obstacles à l’enseignement évangélique. Après la parabole du semeur sur la question du terrain où tombe le grain, il poursuit ici en parlant de son développement. Le grain se développe en raison de deux choses qui donnent lieu aux deux paraboles.
- La graine de moutarde ou la petitesse apparente
- L’acte de semer
« Le royaume des Cieux est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise et qu’il a semée dans son champ ». La fameuse gaine de sénevé (granus sinapis / σινάπεως) est très forte et se rapporte à l’enseignement évangélique parce qu’elle rend par la foi aussi brûlant comme la moutarde : « si vous avez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous direz à cette montagne : ‘Transporte-toi d’ici jusque là-bas’, et elle se transportera ; rien ne vous sera impossible » (Mt 17, 19). Anti-venin, elle convainc d’erreur : « toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser » (2 Tm 3, 16).
Le Christ a semé ce grain dans son champ, dans notre cœur, lorsqu’il nous lui donnons notre assentiment. Il nous a donné la foi par laquelle nous sommes sauvés : « c’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu » (Ép 2, 8). Tout homme qui reçoit puis sème l’enseignement évangélique agit de même, mettant en pratique ce proverbe : « travaille ton champ avec soin » (Pr 24, 27, Vulg.).
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- La petitesse de la graine et grandeur du fruit
Dans ce champ, il y a divers grains car les enseignements sont divers. Ceux de la loi de Moïse paraissaient grands tandis que ceux du Christ paraissait peu de chose, annonçant un Dieu souffrant, crucifié. Qui pouvait croire cela ? « Le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu » (1 Co 1, 18). Mais l’évangile porta plus de fruits que la loi qui se limita aux seuls Juifs : « il n’a pas fait la même chose pour tous les peuples et il ne leur a pas manifesté ses jugements », Ps 147, 20, Vulg.). Aucun philosophe ne convertit tout un pays à son enseignement.
L’enseignement évangélique est plus grand par sa solidité car « il devient un arbre » (v. 32) : « Ta parole, Seigneur, demeure pour l’éternité » (Ps 118, 89) et « le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas » (Lc 21, 33). Tandis que les autres doctrines sont des plantes flexibles, sans aucune fermeté car soumises au mieux à la seule raison, voire aux sentiments humains : « Les réflexions des mortels sont incertaines, et nos pensées, instables » (Sg 9, 14). Il l’emporte aussi par son étendue car cette science a de multiples rameaux et montre aux hommes comment bien vivre : qu’ils soient mariés, clercs. « Si bien que les oiseaux du ciel viennent et font leurs nids dans ses branches » indique son utilité car tous ceux dont l’âme est au ciel (Ph 3, 20) viennent pour méditer et se reposer. « Notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel » (2 Co 4, 18).
Le Christ est comparé au grain de sénevé ou moutarde (= moût ardent) car il est empli du feu de l’Esprit Saint. Il le sema par sa mort parmi son peuple qui l’avait méprisé : « le serviteur a poussé comme une plante chétive, une racine dans une terre aride ; il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son aspect n’avait rien pour nous plaire » (Is 53, 2). Et pourtant, il est plus grand que tous les parfaits : « même l’or ne peut l’égaler » (Jb 28, 17). Comparé à des plantes potagères, aliment du malade (Rm 14, 2), le Christ est l’arbre, au milieu de la terre, d’une gigantesque hauteur dans la vision (Dn 4, 7s). Les apôtres aussi furent animés de ce même zèle, brûlant comme la moutarde même s’ils étaient méprisables : « parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce qui est ; ainsi aucun être de chair ne pourra s’enorgueillir devant Dieu » (1 Co 1, 26-29). Pourtant, ils portèrent plus de fruits (cf. Za 8, 23) que les conquêtes d’Alexandre ou d’Auguste se limitant à une seule partie du monde.
- Le levain dans la pâte ou le caractère caché
- Différentes interprétations du levain
La parabole du levain dans la pâte évoque un développement mais étonnant car provenant d’une source cachée. Parfois, on parle parfois de la même chose en bien et en mal comme la pierre exprimant soit la solidité du Christ, el shaddaï, soit la dureté de cœur (Ez 36, 26). Le levain évoque parfois un ferment de corruption : « purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté (…). Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments, non pas avec ceux de la perversité et du vice, mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité » (1 Co 5, 7-8). Mais ici, sa chaleur et capacité d’expansion s’accordent au bien.
La femme symbolise la Sagesse divine qui retire du monde le levain des apôtres (Jn 15, 19) pour les enfouir par l’écrasement des tribulations dans trois mesures de farine pour tous les peuples (trois continents étaient connus à l’époque et Noé avait trois fils) jusqu’à ce que tout ait levé par un désir de convertir tous les peuples à Dieu : « sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle, aux limites du monde » (Ps 18, 5). Le levain signifie encore la ferveur de la charité qui élargit le cœur : « j’ai parcouru le chemin de tes commandements, alors que tu élargissais mon cœur » (Ps 118, 32, Vulg). La triple mesure signifierait tous les états de vie suivant la continence avec des fruits multipliés par cent (virginité), par soixante (viduité) et par trente (mariage). Ou encore le Christ serait le levain enfoui par le Père dans une triple loi de nature, mosaïque et évangélique.
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- L’enseignement par paraboles
La raison pour laquelle Jésus parlait en parabole est double. La foule mêlant croyants et incroyants, bons et méchants, c’était fait pour que les méchants et les incroyants ne comprissent pas et il Isaïe : « Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas » (v. 13-14, cf. Mc 4, 33-34), contrairement aux fidèles, êtres spirituels et non charnels, qui devait mieux comprendre et retenir davantage (1 Co 3, 1).
Le Seigneur utilise une autorité confirmant ses dires : « J’ouvrirai la bouche pour des paraboles, je publierai ce qui fut caché depuis la fondation du monde » (v. 35). Il parla au genre humain d’abord par les prophètes puis en personne : « c’est moi qui parle, je suis là » (Is 52, 6, Vulg.) mais dans les deux cas, en paraboles. Ce que les prophètes avaient accompli était le signe de ce que ferait le Christ. Certes, les évangélistes ne rapportèrent pas tout, ni dans l’ordre : « il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; et s’il fallait écrire chacune d’elles, je pense que le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres que l’on écrirait » (Jn 21, 25) mais se contentaient parfois juste de l’interprétation.
Les secrets sont révélés en ouvrant la bouche. Jésus, verbe de Dieu, fait jaillir par son incarnation la profondeur de la sagesse de Dieu le Père « cachée aux yeux de tout vivant » (Jb 28, 21) depuis la création du monde : « d’heureuses paroles jaillissent de mon cœur » (Ps 44, 2). « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître » (Jn 1, 18). « Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit » (Ep 3, 5). Si des choses vraies sur Dieu peuvent être connues naturellement par la philosophie (Dieu un), son intimité ou richesse d’être en trois personnes n’est révélée que par l’incarnation du Fils (Dieu trine). « Depuis la création du monde, on peut voir avec l’intelligence, à travers les œuvres de Dieu, ce qui de lui est invisible : sa puissance éternelle et sa divinité. Ils n’ont donc pas d’excuse » (Rm 1, 20) ne vaut que pour la connaissance de Dieu.