Les fins dernières
Novembre est propice à la réflexion sur l’eschatologie ou fins dernières. Si la Toussaint évoque l’Église triomphante, le 2 novembre l’Église souffrante, tandis que les damnés de l’enfer n’appartiennent plus à l’Église. La théologie s’enracine dans l’histoire qui a un commencement, la Création ou protologie, et une fin, l’eschatologie. Le traité d’eschatologie se divise en deux grandes parties : la fin personnelle (où irai-je après ma propre mort ?) et la fin commune (qu’adviendra-t-il à la fin des temps ?). Ce dernier dimanche de l’année liturgique présente un évangile apocalyptique (Mt 24, 15-35) qui révèle ce qui arrivera à la fin de l’Histoire : la destruction de Jérusalem et le second avènement du Christ (v. 27).
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- La consommation des temps
- La prophétie
L’abomination de la désolation désigne l’armée romaine qui dévasta Jérusalem et l’installation par Pilate de l’idole qu’était l’aigle romaine prenant la place du vrai Dieu dans le Temple réalisant la prophétie : « le messie sera supprimé. Le peuple d’un chef à venir détruira la ville et le Lieu Saint (…), fera cesser le sacrifice et l’offrande, et sur une aile du Temple il y aura l’abomination de la désolation, jusqu’à ce que l’extermination décidée fonde sur l’auteur de cette désolation » (Dn 9, 26-27). Jérusalem fut prise par Titus en 70 ap. JC, quarante ans après la mort du Christ qui avait prédit que le Temple serait détruit. Si certains Juifs avaient pu rester, ce ne fut plus le cas après la nouvelle rébellion de Bar Kokhba en 135, sous peine de mort. La ville fut totalement rasée sous Hadrien et refondée en colonie romaine d’Ælia Capitolina avec un temple à Jupiter à la place du Temple.
Le Christ nous avertit. « Alors, ceux qui seront en Judée, qu’ils s’enfuient dans les montagnes ». Sous Vespasien (69-79 ap. JC), Hérode Agrippa II dominait dans les montagnes du Golan. Client des Romains en paix avec eux, son royaume constituait un refuge possible par la divine Providence : « Allez ! Allez ! Quittez en hâte le pays du nord – oracle du Seigneur ! Aux quatre vents des cieux je vous avais dispersés – oracle du Seigneur ! » (Za 2, 11).
Les Romains encerclèrent la ville sous Titus à Pâque, l’une des quatre fêtes juives de pèlerinage où tout Juif devait se rendre à Jérusalem. Personne ne pouvait en réchapper. Certes, ce qui est inévitable l’est absolument ou relativement pour la force naturelle des hommes, mais possible par miracle. La parturiente ou allaitante pour sauver sa vie sacrifierait son enfant : « il se retourna et leur dit : ‘Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : ‘Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité !’’ » (Lc 23, 28-29). Dieu peut se laisser fléchir pour les autres circonstances de nature (l’hiver) ou juridique (interdiction de parcourir un sabbat plus de 2.000 coudées ou 1 km environ).
- La raison de l’avertissement (v. 21)
Pourquoi fuir alors ? Flavius Josèphe l’explique. Beaucoup moururent de faim et les Juifs s’entretuèrent. Ceux qui auraient pu être épargnés par Titus, plutôt clément, furent tués pour ne pas se rendre et des meurtriers factieux sévissaient aussi. La situation était telle que recherchant à tout prix de la nourriture, une femme mangea son enfant... Lorsque l’Antéchrist viendra, ce sera pire. Mais là, l’horrible était que cela fût entre juifs.
Les jours sont abrégés en nombre, parce que les Juifs ne furent pas tués dans tout l’Empire Romain, seulement à Jérusalem et d’autres villes d’Israël. Et parce que des élus convertis intercédaient pour leur race d’origine : « Si le Seigneur de l’univers ne nous avait laissé un petit reste, nous serions comme Sodome, nous ressemblerions à Gomorrhe » (Is 1, 9). Métaphoriquement, fuir la Judée revenait à se convertir vers ce qui est meilleur et plus élevé dans la Vérité, le christianisme. Les montagnes symbolisaient les parfaits demeurant dans leurs vertus liées à la contemplation (terrasses) ou à la vie active (champs). Les femmes enceintes et allaitantes seraient l’homme ancien alourdies par ses péchés, nourri plus de chair que d’esprit.
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- Le second avènement du Christ
- Les signes précurseurs de l’avènement
Le second avènement est annoncé par des signes chez les hommes ou dans la nature mais aux dates imprécises car ils ne sont pas liés à la destruction de Jérusalem. Les séducteurs sont des pseudo-messies et prophètes car le démon singe Dieu : « comme vous l’avez appris, un anti-Christ, un adversaire du Christ, doit venir ; or, il y a dès maintenant beaucoup d’anti-Christs ; nous savons ainsi que c’est la dernière heure. Ils sont sortis de chez nous mais ils n’étaient pas des nôtres » (1 Jn 2, 18). « Bien-aimés, ne vous fiez pas à n’importe quelle inspiration, mais examinez les esprits pour voir s’ils sont de Dieu, car beaucoup de faux prophètes se sont répandus dans le monde ». Leur force de séduction est dans les faux miracles car les vrais miracles (comme ressusciter des morts) sont réservés à Dieu et les démons ne peuvent faire que des prodiges, comme prestidigitateurs connaissant la nature mieux que nous. Attention à la crédulité (apparitionnisme, sédévacantisme).
L’apostasie en fera tomber beaucoup. Seuls les prédestinés seront préservés : « en gardant la foi et une conscience droite ; pour avoir abandonné cette droiture, certains ont connu le naufrage de leur foi » (1 Tm 1, 19. Cf. Is 19, 14). La vraie doctrine est publique : « Jésus lui répondit : ‘Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette’ » (Jn 18, 20). La fausse doctrine, telle une gnose, se cache (désert) pour se réserver à des faux initiés avec des secrets pour dire une chose à l’un et le contraire à l’autre. L’Église combat ces séducteurs. Les faux prophètes se fondent (Ez 13, 6) sur des Écritures apocryphes, non reconnues officiellement comme inspirées par Dieu, sur l’ésotérisme. Mais le Christ se manifestera aussi visiblement que l’éclair qui illumine (Ps 49, 3, Vulg.). Il est conséquent avec lui-même depuis son commencement (l’Orient) jusqu’à la fin (l’Occident), embrassant toute l’Écriture, au contraire de l’hérétique qui choisit ce qui lui convient (αἵρεσις < choisir).
- Le mode d’avènement
« Là où se trouve le corps, là se rassemblent aussi les aigles », qui ne sont pas des charognards venus se repaître du cadavre mais les saints qui, nourris de l’Eucharistie, forment le corps du Christ : « ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur trouvent des forces nouvelles ; ils déploient comme des ailes d’aigles » (Is 40, 31).
La nature donnera des signes cet avènement dans le Ciel (Ap 6, 12 ; Jl 2, 31 ; Is 30, 26). Le soleil et la lune paraîtront pâles comparés à la clarté du Messie et des élus glorieux : « La lune rougira, le soleil se couvrira de honte. Car, sur le mont Sion et à Jérusalem, le Seigneur de l’univers régnera : devant les anciens resplendira sa gloire » (Is 24, 23). Métaphoriquement Lucifer, le soleil/démon, a une lune : l’Antéchrist. Viendront les pleurs devant la puissance du Christ auquel ils ont désobéi et la gloire des saints qu’ils ont moqués : « Le voilà, celui que nous tournions jadis en ridicule ! Nous en faisions la cible de nos sarcasmes, fous que nous étions ! Nous trouvions absurde sa manière de vivre et infâme sa mort ! Pourquoi est-il compté parmi les fils de Dieu ? Pourquoi partage-t-il le sort des saints ? » (Sg 5, 4-5 ; Ap 1, 7, Za 12, 10).
- L’avènement
Le fils de l’homme sera vu par tous car il jugera tous les hommes. Même les mauvais verront son humanité (Lc 3, 6) tandis que la divinité de Jésus ne sera visible que par ceux ayant le cœur pur (Mt 5, 8). Cela causera la joie des uns et le tourment des autres, angoissés devant ce juge. Les nuées symbolisent sa gloire (Transfiguration) et divinité : « le Seigneur déclare demeurer dans la nuée obscure » (Ex 16, 10 ; 1 R 8, 12) qui a accueilli son humanité lors de l’Ascension : « il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux (…) Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel » (Ac 1, 9-11, cf. Ap 1, 7).
Au premier avènement, Jésus était venu dans la faiblesse : « il a été crucifié du fait de sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu » (2 Cor 18, 4) et l’ignominie : « la multitude avait été consternée en le voyant, car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ; il n’avait plus l’apparence d’un fils d’homme » (Is 52, 14). Mais au second, il viendra dans la puissance et la gloire, adoré dans sa divinité et humanité par tous les saints qui se rassembleront autour de lui. À la résurrection finale opérée par Jésus (1 Cor 15, 22), les anges rassembleront nos cendres. Les trompettes sont la puissance de Dieu (Ap 11, 12 ; Nb 10, 2) qui servaient aux Juifs pour les rassemblements, fêtes et combats tandis que la voix forte est son humanité. Ne seront rassemblés d’abord que les élus (Ps 49, 5), plus tard tous (Mt 25, 32), provenant âme, des quatre vents, de tous les points cardinaux « d’une extrémité des cieux jusqu’à l’autre ». Les récompenses diffèrent selon les mérites.
Cet avènement est connu par la foi avec certitude. Jésus compare avec le figuier. Les arbres ont une vie cachée en hiver, ne produisant ni feuilles ni fruits, puis au printemps, le pullulement de la vie se manifeste jusqu’au plein déploiement, l’été, pour la récolte qui est la récompense (Ps 125, 6 ; Lc 13, 6). Il en est de même pour les saints : « vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu » (Col 3, 3). « Avant que cette génération ne passe » désigne les fidèles : « voici la génération de ceux qui cherchent Dieu » (Ps 23, 6) mais la foi de l’Église durera jusqu’à la fin des temps. La parole de Dieu a créé le Ciel et la Terre (Ap 21, 1). Elle est plus solide qu’eux, simples effets désignant métaphoriquement les élus pour le Ciel, tandis que la Terre renferme les damnés de l’Enfer.