Quinquagésime (02/03 - lect. thom. ép.)

Homélie de la Quinquagésime (2 mars 2025)

Lecture thomiste de l’épître (1 Co 13, 1-7) : début de l’hymne à la charité

Après les distinctions l’Église par les charismes (gratia gratis data) et divers ministères, saint Paul évoque ce qui les unit tous (ou devrait) : la vertu théologale de la charité. Sainte Thérèse l’a compris lorsqu’elle trouva sa vocation en lisant cet épître : « au cœur de l’Église, ma mère, je serai l’amour ». De toutes les grâces, la charité accompagne toujours la grâce sanctifiante (gratia gratum faciens) donnée au baptême, indispensable pour être sauvé.

  1. Nécessité de la charité sans laquelle les charismes sont insuffisants

L’apôtre réduit à trois tous les dons gratuits. Le don des langues relève de la parole. 80 langues regroupent 80% de la population mondiale sur plus de 7.000 langues sur terre, sans compter les dialectes. Il y ajoute même le langage angélique. Mais l’âme ne vit que de la charité car si l’âme est le principe de vie, c’est la charité qui fait vivre l’âme : « en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui ; c’est là que se trouve ta vie » (Dt 30, 20) et « celui qui n’aime pas demeure dans la mort » (1 Jn 3, 14). Le métal est inanimé, sans vie. L’airain avec sa surface plane rend simplement le son comme qui énonce une vérité ; tandis que la cymbale concave le démultiplie par retentissement comme les orateurs. Mais la vérité doit être innervée de charité : « professant la vérité dans la charité » (Ép 4, 15).

Le second don relève de la connaissance et inclut la sagesse (les mystères), la science (acquise ou infuse comme en Sg 7, 17), la foi à transporter les montagnes (Mt 17, 20 ; 21, 21, allusion aux exorcismes contre les démons assimilés à des montagnes, cf. Jr 13, 16 ; 51, 25) et la prophétie qui ne vient que de Dieu si elle est vraie (2 P 1, 21). Sans charité qui perfectionne la volonté, l’intelligence manque de rectitude : « la connaissance rend orgueilleux, tandis que l’amour fait œuvre constructive » (1 Co 8, 1). Il ne parle bien sûr pas des dons de sagesse ou science qui ne peuvent être séparés de la charité : « la Sagesse ne peut entrer dans une âme qui veut le mal » mais donne la « la science des saints » (Sg 1, 4 ; cf. 10, 10). Mais prophétie et foi peuvent exister sans la charité (même des prodiges/faux miracles, cf. Mt 7, 22).

Enfin, les œuvres de piété sont recommandables (1 Tm 4, 8) quand elles s’adressent à plusieurs (Ps 111, 9), subvenant à la nécessité (pas au superflu : Is 58, 7) de qui est dans le besoin (Lc 14, 13). Saint Paul va plus loin, suivant le conseil évangélique de pauvreté donné au jeune homme riche (Mt 19, 21). Qui est appelé à la vie religieuse doit distribuer tous ses biens en œuvres de miséricorde. Parmi elles, il range la patience et au plus haut niveau ceux qui souffrent persécution en supportant le martyre (huitième béatitude en Mt 5, 10). Il incite même à se livrer soi-même, quand il s’agit de défendre la foi et que l’étau se resserre (cf. Ép 5, 2 ; Jg 5, 9), soit se laisser prendre ou supporter la torture de ses proches (2 M 7, 20). Le sacrifice du corps (cf. Is 50, 6, Vulg.) l’emporte sur le sacrifice des biens, déjà digne d’éloges (Hé 10, 34), surtout quand les tourments sont cruels comme le feu (Sir 50, 9) faisant monter l’holocauste d’un parfum d’agréable odeur. Le manque de charité ou ce qui entacherait ce martyre serait un péché mortel comme le faire par vaine gloire, ce qui le rendrait infructueux (Sg 3, 11).

  1. Utilité en faisant éviter le mal et pratiquer le bien

La charité accomplit toutes les vertus. D’abord en agissant droitement par bonté (Sg 1, 6, Vulg. et Ép 4, 32) qui tel un feu se propage. On ne retient pas pour soi seul les biens, même spirituels, qu’on possède (1 Jn 3, 17), mais on les partage (Pr 5, 16) car le bien est diffusif de soi-même. Ensuite, en supportant le mal pour Dieu par la patience (v. 4, cf. Jc 1, 4) qui parfait l’action au point que « les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves l’emporter » (Ct 8, 7).

Le double effet de la vertu est de s’abstenir du mal et de pratiquer le bien (Ps 33, 15 ; cf. Is 1, 16). L’apôtre fait donc deux listes. L’homme ne peut commettre efficacement aucun mal contre Dieu, seulement contre le prochain ou soi-même (Jb 35, 6.8). Contre le prochain, le mal peut être en affection car l’envie s’attriste du bien du prochain, surtout des mauvais : « que ton cœur n’envie pas les pécheurs » (Pr. 23, 17, cf. Ps 36, 1). On agit aussi mal si on ne le fait pas à bon escient ou par orgueil, désir désordonné de sa propre excellence, quand on n’est pas satisfait du rang où Dieu nous place, ne nous tenant plus sous la règle de l’ordre divin (Col 2, 18-19). Cette enflure nous rapproche d’une baudruche qui crèvera en deux comme Judas (Sg 4, 19 ; Ac 1, 18). L’orgueil engendre l’ambition, par laquelle on cherche à dépasser les autres (Sir 7, 4), tandis que la charité préfère servir le prochain (Ga 5, 13). Elle s’oppose à la cupidité (1 Co 10, 33) qui recherche son propre intérêt en négligeant celui des autres, à commencer par Dieu (Ph 2, 21). La charité réprime l’excès de la colère, désir immodéré de la vengeance, en remettant les offenses (Col 3, 13 ; Jc 1, 20) ou en se confiant à Dieu, le juste juge (Rm 12, 19).

La charité réprime tout désordre dans le choix des actes par la préméditation (l’élection chez Aristote et saint Thomas), plus grave que de pécher par passion : le conseil de la raison excite alors l’attachement au mal. Elle rejette cette perversité du conseil (élément de la prudence) dénoncée par les prophètes : « Malheur à ceux qui préparent leur mauvais coup et, du fond de leur lit, élaborent le mal ! » (Mi 2, 1 ou Is 1, 16). Elle ne ne souffre pas que, par mille conjectures ou jugements téméraires, on pense du mal du prochain : « pourquoi avez-vous des pensées mauvaises ? » (Mt 9, 4). Si agir mal par passion ne va pas sans remords, qui pèche par choix délibéré se réjouit de son choix mauvais : « ils prennent plaisir à faire le mal, ils se complaisent dans la pire des perversités » (Pr 2, 14). La charité réprime cet excès et déplore l’iniquité du prochain qui s’oppose à son salut : « que je n’aie à pleurer sur bien des gens qui ont été autrefois dans le péché et qui ne se sont pas repentis » (2 Co 12, 21).

Au contraire, la charité pratique le bien, à l’égard du prochain en se réjouissant du bien, dans sa vie, doctrine ou justice, parce qu’elle aime le prochain comme soi-même : « J’ai eu beaucoup de joie quand des frères sont venus et qu’ils ont rendu témoignage à la vérité » (3 Jn 3). Le charitable supporte avec patience les maux du prochain, sans se troubler : « nous les forts, nous devons porter la fragilité des faibles, et non pas faire ce qui nous plaît » (Rm 15, 1, cf. Ga 6, 2). La charité est liée aux deux autres vertus théologales ayant Dieu pour objet (v. 7). Elle fait confiance en Dieu, par la foi, adhérant à tout ce qui est divinement transmis comme Abraham (Gn 15, 6) car ‘Dieu ne saurait se tromper ni nous tromper’ (acte de foi), alors que ce serait légèreté pour une parole humaine (Sir 19, 4). Elle espère ce qui est promis de Dieu (Sir 2, 8-9), attendant la réalisation de la promesse avec patience même s’il semble tarder : « si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard » (Ha 2, 3). « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur » (Ps 26, 14).

Date de dernière mise à jour : 03/03/2025