4e Carême (30/03 - aumône)

Homélie du 4e dimanche de Carême (30 mars 2025)

L’aumône

Les piliers du Carême ayant été abordés l’un après l’autre : la pénitence (jeûne et confession), la prière ; ne reste plus que l’aumône, à la lumière de saint Thomas (II-II, 32, 1-2).

  1. L’aumône est un acte de charité

L’aumône entend subvenir à la nécessité de qui souffre (ut subveniatur necessitatem patienti), donc secourir celui qui est dans le besoin, vraiment multiples ! « L’œuvre de donner à l’indigent, par compassion pour [l’amour de] Dieu » (saint Albert le Grand), relève de la miséricorde. Le latin eleemosyna repris directement du grec, rappelle le eleison du Kyrie de la messe, soit « Seigneur prenez pitié ». Cette compassion n’est pas une œuvre sociale mais pour Dieu. Les indigents en tout genre n’ont parfois rien de bien aimable en eux mais le prochain ne doit pas être aimé pour ses qualités ou malgré ses défauts mais en Dieu, gratuitement, relevant de la vertu théologale de charité comme le rappelle l’acte de charité : « Mon Dieu, je vous aime par-dessus toutes choses, de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces, parce que vous êtes infiniment bon et souverainement aimable, et j'aime mon prochain comme moi-même pour l'amour de vous ».

Saint Vincent de Paul expliquait aux Filles de la charité de Sainte Louise de Marillac (médaille miraculeuse) : « Nous ne devons pas considérer un pauvre paysan ou une pauvre femme selon leur extérieur, ni selon ce qui paraît de la portée de leur esprit ; d’autant que bien souvent ils n’ont presque pas la figure ni l’esprit de personnes raisonnables. ~ Mais tournez la médaille, et vous verrez par les lumières de la foi que le Fils de Dieu, qui a voulu être pauvre, nous est représenté par ces pauvres ; qu’il n’avait presque pas la figure d’un homme en sa Passion, et qu’il passait pour fou dans l’esprit des Gentils, et pour pierre de scandale dans celui des Juifs ; et avec tout cela, il se qualifie l’évangéliste des pauvres : ‘Il m’a envoyé porté la Bonne Nouvelle aux pauvres’. Ô Dieu ! qu’il fait beau voir les pauvres, si nous les considérons en Dieu et dans l’estime que Jésus Christ en a faite ! Mais, si nous les regardons selon les sentiments de la chair et de l’esprit mondain, ils paraîtront méprisables. ~ Dieu aime les pauvres, et par conséquent il aime ceux qui aiment les pauvres ; car, lorsqu’on aime bien quelqu’un, on a de l’affection pour ses amis et pour ses serviteurs ».

La charité est donc un bien, diffusif de soi-même, qu’on a envie de partager, dont on déborde non par notre propre effort mais par don gratuit de Dieu (la grâce de l’Esprit Saint). « Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s’il voit son frère dans le besoin sans faire preuve de compassion, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jn 3, 17-18). On pourrait faire l’aumône pour de mauvaises raisons, comme la vaine gloire : « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés (…), s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien » (1 Co 13, 3). Un acte ne se considère pas que sous son aspect matériel car de ce point de vue, il peut exister sans vertu. Beaucoup dépourvus de justice, font des œuvres justes par raison naturelle, crainte ou espoir du gain. L’essentiel est l’aspect formel. L’acte vertueux intervient avec promptitude, comme il convient et par plaisir (prompte, expedite, delectabiliter à la congrégation des causes des saints). Or on ne peut donner l’aumône pour Dieu, joyeusement, spontanément et tout ce qui est requis, sans la charité.

L’aumône recouvre d’autres aspects vertueux. Elle figure parmi les œuvres satisfactoires : « rachète tes péchés par la justice, et tes fautes par la pitié envers les malheureux » (Dn 4, 24), qui relève de la justice, comme du culte de latrie : « N’oubliez pas d’être généreux et de partager. C’est par de tels sacrifices que l’on plaît à Dieu » (He 13, 16). La libéralité évite le trop grand amour des richesses, rendant leur possesseur avide de les garder.

  1. Différentes formes d’aumône

Un prêtre en soutane attire immanquablement clochards ou mendiants, comme si l’habit impliquait nécessairement un don d’argent. Faire la charité ne consiste pourtant pas uniquement à subvenir à des besoins économiques. L’indigent est celui qui manque de quelque chose, pas que d’argent ! Si le monde apprécie les œuvres sociales (Emmaüs), dès qu’il en vient à l’aumône de partager la vérité de la saine doctrine, par l’évangélisation ou l’engagement politique, le catholique est tout de suite rejeté. Sainte Mère Teresa de Calcutta rappelait à ses Missionnaires de la Charité qu’elles n’étaient pas des travailleurs sociaux ! Quand on lui représenta les trop longues journées à s’occuper des pauvres, orphelins, mourants, elle doubla le temps d’oraison, elle la d’1h à 2h (contrairement à saint Vincent de Paul trop souvent détourné) !

La distinction des genres d’aumône est fondée sur la diversité des déficiences du prochain. Les œuvres de charité ou aumônes corporelles sont plus évidentes. Une personne vivante peut manquer de ce qui est commun à tout homme. Intérieurement, si l’on y subvient contre la faim par un aliment solide, on « nourrit les affamés » et l’aliment liquide contre la soif « désaltère les assoiffés ». Extérieurement, s’il manque de vêtements, il faut « vêtir ceux qui sont nus » et s’ils manquent d’un toit, « accueillir les hôtes ». De même les défauts particuliers peuvent résulter d’une cause intérieure comme l’infirmité : « visiter les malades » ou d’une cause extérieure : « racheter les captifs ». Après la vie, on donne aux morts la sépulture (d’où l’importance des laïcs aux enterrements du tout-venant, comme Tobit, le fossoyeur clandestin).

Mais le commun ignore les aumônes (ou œuvres de charité) spirituelles qui sont aussi importantes et à la portée même du plus démuni de moyens économiques. On peut toujours implorer le secours de Dieu en priant pour quelqu’un. On peut aussi agir pour lui plus concrètement : l’enseignement remédie à un défaut de l’intellect spéculatif (donc l’enseignant, le prédicateur et le catéchiste sont charitables !), tandis que le conseil donné à quelque désemparé concerne l’intellect pratique. Ne pas subvenir à un ignorant des moyens du salut nous rendrait complice de sa perdition éternelle ! La consolation soutient le prochain triste (puissance appétitive). Enfin, on corrige fraternellement le pécheur agissant par sa volonté déréglée ou on le punit : « les coups de celui qui aime valent mieux que les baisers trompeurs de celui qui hait » (Pr 27, 6, Vulg.) ! Si quelqu’un pèche, l’offensé doit pardonner mais si c’est contre Dieu ou le prochain, « il ne nous appartient pas de pardonner » (saint Jérôme). Les conséquences de l’acte déréglé affectent ceux qui partagent la vie du pécheur qui doivent supporter/tolérer les personnes pénibles ou le pécheur par longanimité ou patience (Rm 15, 1).

Saint Grégoire disait : « Celui qui sait doit bien prendre garde de ne pas se taire ; celui qui est riche, de ne pas s’engourdir dans ses largesses miséricordieuses ; l’homme possédant un art utile à la direction de la vie doit s’efforcer d’en partager l’usage et le bienfait avec son prochain ; celui qui a l’oreille du riche doit craindre d’être puni, s’il enfouit son talent, en n’intercédant pas pour les pauvres lorsqu’il le peut ».

Date de dernière mise à jour : 30/03/2025