2e Carême (16/03 - prière)

Homélie du 2nd dimanche de Carême (16 mars 2025)

La prière – dimension spirituelle et pratique

Si le Carême est un temps de pénitence, il doit être aussi un temps de prière renouvelée. D’ailleurs, pour bon nombre, la prière est une pénitence ! Si la pénitence imposée par le confesseur au pénitent est souvent une prière, elle ne saurait être réduite à cela.

I) Pourquoi prier ?

  1. Se brancher sur l’amour

Souvent en confession, je m’étonne que les pénitents limitent leur examen de conscience à : ‘qu’ai-je fait de mal ?’. Certes, certains s’accusent de n’avoir pas tenu leurs prières du matin ou du soir, mais trop suivant la check-list de choses à faire. Alors que la prière devrait relever de la logique de l’amour : consacrer du temps à celui qui nous a tellement aimés qu’il a envoyé son Fils unique souffrir les atroces tourments de la Croix pour nous le prouver.

L’homme est un être incomplet, inachevé (en métaphysique : puissance et acte). Il se réalise ou perfectionne par de bonnes actions qui, répétées deviennent vertus, même si elles sont finalement dues à la grâce : « Dieu ne récompensera jamais en toi que ses propres actions » (Jean Tauler, vers 1300 – 1361). Au fond, seul le péché nous est en propre ! Mais l’action n’est pas qu’un faire extérieur. La prière est la plus belle des actions puisqu’elle exprime mieux notre humanité. La vie spirituelle nous distingue des animaux, constituant notre différence spécifique. L’homme en priant, cherche à comprendre (par l’intelligence) la volonté de Dieu sur nous et à l’aimer (par la volonté). « Une grande loi de la vie spirituelle est que le démon s’attaque beaucoup plus à notre vie de prière qu’à nos vertus : en général, on se préoccupe moins de peu prier que d’être voleur ou menteur » (P. Max Huot de Longchamp). Les manquements à la prière sont donc plus graves que ceux à la vertu car, pour bien agir, ne pouvant tirer de notre propre fond, nous devons en recevoir la grâce communiqué dans la prière.

La prière met en relation la créature avec son Dieu. Si cette union passe par des moments privilégiés où l’on ne s’adonne qu’à cela, à terme, elle embrasse toute la vie : « priez sans cesse » (1 Th 5, 17) car nous restons connectés à Dieu. En informatique, on doit constamment mettre à jour ses logiciels : le ‘live update’ devient un ‘love update’ dans la prière. Branchons-nous sans cesse à la source de la Vie et de l’Amour : « J’aime parce que j’aime ; j’aime pour aimer [Amo quia amo : amo ut amem]. C’est une grande chose que l’amour, si du moins il remonte à son principe, si, revenu à son origine et replongé en sa source, il y puise de quoi continuellement s’écouler » (saint Bernard, Sermon 83 sur le Cantique des Cantiques, 4). Nous ne pouvons vivre sans lumière, chaleur du soleil ou air. En tant qu’être spirituels, nous ne pouvons vivre sans prière qui réchauffe notre âme parce qu’elle nous met en présence de Dieu.

  1. Laisser façonner notre volonté par l’Ami, le Père

« Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père » (Jn 15, 5). L’amitié est une activité partagée (Aristote) dans le temps et l’échange au point de nous conformer. Tout parent surveille les relations de ses enfants, par peur qu’elles ne pervertissent. S’ils deviennent vulgaires quand les gros mots sont bannis de la maison, c’est donc par mimétisme du langage de ses copains. La prière au contraire fait déteindre sur nous la bonté de Dieu. On s’exprime naturellement par des images ou des expressions bibliques qui nous sont devenues familières, connaturelles.

La prière fait voir les choses à travers les yeux de Dieu. L’adaptation de notre volonté à la sienne s’appelle la souffrance et sert notre bien. « Je nomme souffrance et peine du cœur ce dont la volonté voudrait être dispensée selon sa réflexion délibérée » (bienheureux Henri Suso (vers 1295-1366)). Cela « nous montre, où, exactement, se situe la souffrance : dans un divorce entre notre volonté et celle de Dieu. D’un côté, il y a ce que Dieu veut et fait, de l’autre, ce que nous voudrions et qui n’existe pas puisque Dieu ne le fait pas. D’où notre crispation sur le néant, d’où l’angoisse et la souffrance. Elle n’est donc pas dans notre corps, système nerveux compris, mais dans notre âme, désaccordée d’avec ce que Dieu veut et fait. Si bien que retrouver la volonté de Dieu dissout la question de la souffrance (…). Les saints réagissent comme les autres au chaud et au froid, aux maladies et aux blessures, mais cela n’est plus pour eux sujet de révolte et de malheur. Comme Jésus sur la croix, ils ne s’occupent pas de leur douleur mais de leur Père : douleur extrême et bonheur total cohabitaient parfaitement en Jésus crucifié » (P. Max Huot de Longchamp).

L’orant sait que Dieu est un vrai Père : « vous avez oublié cette parole de réconfort, qui vous est adressée comme à des fils : ‘mon fils, ne néglige pas les leçons du Seigneur, ne te décourage pas quand il te fait des reproches’. Quand le Seigneur aime quelqu’un, il lui donne de bonnes leçons ; il corrige tous ceux qu’il accueille comme ses fils. Ce que vous endurez est une leçon. Dieu se comporte envers vous comme envers des fils ; et quel est le fils auquel son père ne donne pas des leçons ? Si vous êtes privés des leçons que tous les autres reçoivent, c’est que vous êtes des bâtards et non des fils » (He 12, 5-8). C’est le seul moyen que Dieu a de nous configurer à son Fils : « nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour. Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils, pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8, 28-29).

À quel grand prix magnum pretium (1 Co 6, 19-20) Dieu ne nous a-t-il pas rachetés ? Cette église Saint-Thomas Beckett montre à l’entrée du chœur la Croix de Son Fils rappelant que Dieu paya à notre place. Par la prière, Dieu prend progressivement possession, par son Esprit-Saint, de nous, corps et âme. Pensons aux stigmatisés saint François ou Padre Pio. Il nous conforme au Fils dont l’humanité est la porte de la Vie Éternelle. Là-haut, notre seule activité sera la prière ou contemplation de Dieu face-à-face. Cette vie terrestre n’est qu’un long temps de fiançailles pour jouir des noces célestes si du moins nous avons commencé à bâtir la relation.

II) Les différentes formes de prière

  1. Prière communautaire ou personnelle

Cette relation avec Dieu revêt plusieurs formes : vocale ou silencieuse, commune ou individuelle, toute faite ou personnelle. La prière est une amitié de Dieu avec sa créature. Or, une amitié s’entretient et demande de s’investir dans les échanges, soit à distance (téléphone) soit dans la rencontre personnelle. La prière se compare au premier, la messe est la rencontre personnelle où le corps Dieu entre dans mon corps, presque une étreinte amoureuse suivant le Cantique des Cantiques. Quel mariage durerait sans communication, y compris charnelle ?

Jésus insiste sur la prière personnelle dont il donne un exemple à Gethsémani : « mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 6). La route des vacances peut emprunter l’autoroute, itinéraire rapide et efficace comme Jésus nous enseigne le Pater Noster (Lc 6, 9-13). Mais la prière personnelle privilégie un itinéraire moins rebattu comme les petites routes de campagne pleines de charme.

Ne radotons pas ni ne multiplions les dévotions : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé » (Mt 6, 7-8). Progressivement, la prière passe d’une supplication à une action de grâces. On demande d’abord des choses à Dieu puis on le remercie de ce que nous sommes. On veut quelque chose puis on veut ce qu’il veut. On cherchait à conformer sa volonté divine à la nôtre et on veut l’inverse et s’appliquer à aimer ce qu’Il veut. « L'unique bonheur sur la terre, c'est de s'appliquer à toujours trouver délicieuse la part que Jésus nous donne » (lettre de sainte Thérèse 257 à Léonie le 17 juillet 1897).

Si Samuel disait « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute » (1 Sm 3, 9-10), en réalité nous pensons : ‘Écoute, Seigneur, ton serviteur te parle’. On parle trop au début puis on écoute plus en progressant. Voire même on ne dit plus rien, sans que cela ne pèse comme le silence gêné chez le coiffeur rompu par des banalités. Lors d’une longue route en voiture, on ne saoule pas d’une logorrhée tout le trajet le compagnon de sa vie. Le silence ne pèse pas quand on s’aime. On regarde et avance dans la même direction et cela suffit. Rares sont les personnes qui entendent Dieu par des locutions. Le commun des mortels se contente de motions de l’Esprit Saint qui donnent la certitude morale que poser tel acte est bien la volonté de Dieu sur nous.

  1. Faire oraison

La simple présence à la Présence me suffit petit à petit, parce que je sais que je suis avec l’Être qui m’a aimé le premier (1 Jn 4, 19). D’actif, on devient plus passif car toute grande chose se fait dans la torpeur de la créature (Adam y fut plongé lorsqu’Ève fut créée). On laisse Dieu agir en nous (le passif divin) : on a voulu être Simon de Cyrène mais ce sera toujours le Christ qui portera le vrai poids de notre croix.

L’oraison permet de vivre en union avec Dieu, forme la plus parfaite de la prière. Entrons-y progressivement, selon son état de vie, mais un consacré devrait s’y adonner à terme une heure par jour (cf. le reproche de Jésus à St. Pierre en Mt. 26, 40). La tradition carmélitaine la propose même deux fois. Des périodes particulières comme une retraite de saint Ignace (10 ou 30 jours) imposent quatre heures d’oraison par jour, voire cinq avec un lever de nuit.

L’oraison est « une vue simple et amoureuse de Dieu présent, appuyée sur la foi que Dieu est partout et qu’il peut tout » (François Malaval (1627-1719). Elle met en pratique la ‘meilleure part’ de Marie de Béthanie quand Jésus reprochait à sa sœur Marthe de trop s’affairer (tandis que nous toupinons souvent) : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée » (Lc 10, 41-42). Nous devrions être Marthe et Marie, suivant les moments de la journée. Le temps exclusivement consacré à Dieu est un temps que Dieu nous rendra par une plus grande efficacité ensuite puisqu’il disait à la grande Thérèse : « Occupe-toi de mes affaires et je m’occuperai des tiennes » (La Voie de la perfection) ?

Date de dernière mise à jour : 16/03/2025