SS. Pierre et Paul (30/06 - ép. chaînes S. Pierre)

Solennité des saints Pierre et Paul (30 juin 2024)

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Lecture de l’épître de saint Pierre aux liens (Ac 12, 1-11)

Les actes des apôtres relatent la libération d’une des prisons où fut enfermé le prince des apôtres. Ce miracle important en appela d’autres, célébrés  le 1er août à la fête de saint Pierre-aux-liens. Une basilique mineure à Rome San Pietro in vincoli, célèbre pour le tombe du pape Jules II avec la statue de Moïse par Michel-Ange, renferme ces insignes reliques.

  1. Les trois chaînes de saint Pierre

Ces liens (vincula) sont en réalité des chaînes : ‘Vinctus caténis duábus’ et ‘cecidérunt caténæ de mánibus eius’. Elles sont doubles : hiérosolymitaines (de Jérusalem) et romaines. Hérode Agrippa Ier (37-44), petit-fils d’Hérode le Grand (meurtrier des saints innocents) neveu et beau-frère d’Antipas par Hérodiade (meurtrier de saint Jean-Baptiste), était un intime de l’empereur Caligula (37–41) puis Claude (41–54) qu’il contribua à faire monter sur le trône. Vers l’an 43, voyant les progrès de la prédication des apôtres, il persécuta les Chrétiens en faisant décapiter saint Jacques de Zébédée, frère de Jean. Comme cela plaisait aux Juifs, il fit aussi arrêter Pierre, chef des apôtres, jeté en prison et entravé de deux lourdes chaînes de fer. Il voulait attendre que la Pâque fût passée pour le faire comparaître.

Le miracle de sa libération intervint grâce aux instantes prières de l’Église. Dieu envoya directement son ange et non pas des hommes. Hérode mourut de la main même de Dieu, rongé par les vers (Ac 12, 23) car il s’était fait acclamer comme un dieu par les flagorneurs (les vers nématodes peuvent provoquer une occlusion intestinale et sortir du corps au décès, d’autres y voient la gangrène de Fournier touchant les organes génitaux comme son grand-père).

Cette chaîne fut achetée aux gardes par de pieux chrétiens pour ne pas la profaner en liant de vrais criminels et fut conservée par l’Église de Jérusalem. L’autre prison que connut saint Pierre était à Rome, la prison Mamertine (Tullianum), qui se visite encore sur le Forum républicain. Néron l’y fit enchaîner vers 64-65 puisqu’il accusait les Chrétiens de l’incendie de sa capitale qu’il avait pourtant lui-même allumé.

  1. Les miracles et leur vénération
    1. Les chaînes conjointes

Ces secondes chaînes romaines, d’abord cachées, furent redécouvertes par sainte Balbine vers 116 sous saint Alexandre Ier. Ce pape martyr était emprisonné sous le tribun Quirinius. Lequel alla visiter son ami, le préfet de Rome Hermès, emprisonné pour s’être converti par le pape. Le saint pape prouva l’action divine d’abord en se retrouvant dans la même cellule qu’Hermès alors qu’ils étaient séparés et sous bonne garde, puis en guérissant des écrouelles la fille de Quirinius, sainte Balbine. Comme elle baisait ses chaînes pour guérir, il l’exhorta à reporter plutôt à baiser les chaines de saint Pierre que son père fit rechercher dans la prison. Guérie, elle se convertit comme son père et ils furent martyrisés.

Jérusalem restait en Orient un fréquent objet de pèlerinage pour les Romains d’Orient. Sous sainte Hélène en 320, l’Église byzantine y avait prélevé d’autorité de nombreuses reliques transférées à Constantinople ou Rome.  Le métropolite en avait toutefois sauvegardées certaines comme les chaînes de saint Pierre dont Juvénal accepta toutefois de se départir en 437, lorsque l’impératrice d’Orient, Eudoxie, femme de Théodose le Jeune, fit son pèlerinage. Elle emporta ces chaînes qui furent exposées à la vénération des fidèles dans la chapelle saint-Pierre à Sainte-Sophie (aujourd’hui perdues) et en offrit 28 anneaux à sa fille Eudoxie la Jeune (Licinia Eudoxia, 422-493) qui régnait à Rome comme épouse de Valentinien III (régnant de 425 à 455). Alors qu’elle les offrit au pape Sixte III (432-440) en août 439, celui-ci, reconnaissant, lui montra de son côté les chaînes romaines de saint Pierre. Advint alors le miracle de la conjonction des deux chaînes : approchées l’une de l’autre, elles s’unirent d’elles-mêmes parfaitement. Eudoxie fit bâtir la basilique qui porte son nom de Saint-Pierre-ès-Liens consacrée le 1er août 440 (près de sainte Marie-Majeure, œuvre du même Sixte III).

    1. Diffusion des reliques dans la Chrétienté

Dieu montra par des miracles insignes au cours des siècles qu’il approuvait la vénération de ces chaînes sacrées. Uniquement dans le christianisme, c’est la sainteté qui se propage et non l’impureté qui contamine. Aussi si la première classe des reliques est toujours un morceau du corps (organe non putréfié, os, cheveux), la seconde classe concerne les vêtements que portèrent les saints ou les objets qu’ils touchèrent (instruments du martyre ou cercueil par ex.), s’inspirant de la pratique constatée à Éphèse : « par les mains de Paul, Dieu faisait des miracles peu ordinaires, à tel point que l’on prenait des linges ou des mouchoirs qui avaient touché sa peau, pour les appliquer sur les malades ; alors les maladies les quittaient et les esprits mauvais sortaient » (Ac 19, 11-12). Suivant cette même logique la troisième classe recouvre des tissus modernes ayant touché les reliques (brandea). Après tout l’ombre portée par saint Pierre pouvait bien guérir les malades (Ac 5, 15).

Les papes reçurent de nombreuses requêtes pour avoir un morceau de ces reliques comme Justin Ier (518-527), empereur d’Orient. Quelques anneaux furent donc détachés comme par Adrien Ier, en 772, pour Didier, roi des Lombards. Elle furent ramenées à Rome dans la basilique de Sainte-Cécile par le cardinal Sfondrati vers 1592. Metz reçut un anneau et Avignon, cinq qui se perdirent. Pour ne pas totalement s’aliéner ce trésor, les Papes prirent alors l’habitude, pour honorer particulièrement certains dignitaires, d’incorporer un peu de limaille du précieux fer enchâssée dans une clef d’or ou d’argent. Les épîtres de saint Grégoire le Grand (590-604) citent Childebert, roi des Francs ou Recarède, roi des Wisigoths. Aujourd’hui, les chaînes romaines ne sont donc plus entières. L’une d’elles se compose de vingt-huit anneaux et l’autre de cinq, dont les derniers en S, soutenaient l’entrave du cou de l’apôtre et un plus grand anneau rond et une barre de fer soudée au mur du cachot.

  1. Interprétation symbolique
    1. Pierre en ceinture et sandales

L’évocation de la ceinture de saint Pierre évoque la prédiction de Jésus juste après la triple profession de foi amoureuse de Pierre : « Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller » (Jn 21, 18), jusqu’à s’en retourner dans la ville éternelle se faire crucifier (cf. le Quo vadis, Domine ?). Les sandales renvoient à saint Jean-Baptiste qui, comme saint Pierre à Césarée de Philippe (Mt 16, 19),  avait aussi confessé le Messie en ne se reconnaissant pas digne de délier la courroie de ses sandales (Mt 3, 11 ; Jn 1, 27 ; Ac 13, 25). Il signifiait par là qu’il ne prendrait pas la place du véritable Époux d’Israël comme dans le lévirat. Mais le fils prodigue, dénudé, fut aussi revêtu par son père de vêtements précieux, sandales et anneau une fois réconcilié (Lc 15, 22). Si les apôtres partaient évangéliser sans rechange (Mt 10, 10 ; Lc 10, 4 ; Mc 6, 9), ses sandales que saint Pierre doit chausser (ὑπόδησαι) rappellent les « pieds chaussés [ὑποδησάμενοι] de l’ardeur à annoncer l’Évangile de la paix » (Ép 6, 15). Ardeur que rien ne doit entraver et qui le porta à Rome, alors que les juifs secouaient la poussière de leurs pieds en quittant un territoire païen pour ne pas se laisser contaminer par l’idolâtrie (Mt 10, 14).

    1. Lier et délier (Mt 16, 19)

Pour saint Augustin, « toutes les Églises de Jésus-Christ en font beaucoup plus état que de l’or le plus pur et le plus précieux ». « Si l’ombre de Pierre a été si salutaire, combien plus le sera la chaîne dont son corps a été environné ? Si la vaine apparence de son image a pu avoir la force de rendre la santé aux malades, quelle force n’auront donc pas des liens qui ont été imprimés sur ses membres sacrés ? Si saint Pierre a été si puissant avant son martyre, combien le doit-il être maintenant qu’il a triomphé de l’attaque des démons ? O chaînes fortunées, qui de menottes et de ceps ont été changées en couronnes et en diadèmes, en faisant l’apôtre martyr ! O bienheureux liens, dont le captif a été traîné au supplice de la croix, non pas tant pour y être exécuté que pour y être consacré ! » (sermon 18 des saints).

Le premier lundi de Carême, un chanoine présente les chaînes à baiser aux fidèles, et, touchant leur cou au collier ayant enchaîné saint Pierre, intercède ainsi : « Que par l’intercession du bienheureux Pierre Apôtre, Dieu te délivre de tout mal ». Cette antique ferraille rappelle jusqu’où conduit l’attachement au Christ qui, comme dans la prison de Jérusalem, lie et délie, faisant tomber ou pas les attaches humaines du péché ou des geôles. La légende dorée du bx Jacques de Voragine rapporte « nous aussi, nous sommes retenus dans les liens du péché et nous avons besoin d’être déliés ». Certes, remettre ou retenir les péchés s’opère avant tout par le sacrement de la confession.

Saint Augustin rapporte encore : « Le nom de Pierre vient de la pierre, et non l’inverse. Le nom de Pierre vient de la pierre, comme « chrétien » vient de Christ (…). Ne sois pas triste, Apôtre, d’être interrogé trois fois : réponds une fois, réponds deux fois, réponds trois fois. Que ta confession soit victorieuse trois fois par l’amour, parce que ta présomption a été trois fois vaincue par la crainte. Il faut délier trois fois ce que tu avais lié trois fois. Délie par l’amour ce que tu avais lié par la crainte. Et cependant le Seigneur, une fois, deux fois, et trois fois, a confié ses brebis à Pierre ». Si Jean était le disciple que Jésus aimait le plus, saint Pierre fut l’apôtre qui aima le plus notre Sauveur. Comme saint Pierre, retenons la leçon pour sortir des liens de nos péchés son amour : « ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour » (Lc 7, 47).

Date de dernière mise à jour : 30/06/2024