5e Pentecôte (23/06 - lect. pers. ép.)

Homélie du 5e dimanche après la Pentecôte

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Lecture personnelle de l’épître (1 P 3, 8-15) : souffrir dans et par l’Église

  1. Une Église idéale ?
    1. L’unanimité d’une vraie communauté chrétienne

L’unanimité signifie littéralement n’avoir qu’une seule âme (una anima), et nous rappelle ce qui caractérisait les tout premiers croyants de l’Église : « la multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32) après la prédication de Pierre et Jean. Il ne s’agit pas de devenir des clones en imitant le mode de pensée d’un gourou, mais de s’unir pour demander avec plus de force, par une prière instante partagée, les mêmes biens. Raison pour laquelle le Seigneur lui-même nous a enseigné comme prier dans le Pater Noster qui n’est pas, suivant saint Cyprien de Carthage, une requête privée mais communautaire :

« Avant tout, le Christ, docteur de la paix et maître de l’unité, n’a pas voulu que la prière soit individuelle et privée, comme si l’on ne priait que pour soi. Nous ne disons pas : ‘Mon Père, qui es aux cieux’, ni ‘Donnez-moi aujourd’hui mon pain de ce jour’. Chacun ne demande pas pour lui seul que sa dette lui soit remise, qu’il ne soit pas soumis à la tentation et qu’il soit délivré du Mal. Notre prière est publique et communautaire, et quand nous prions, ce n’est pas pour un seul, mais pour tout le peuple, car nous, le peuple entier, nous ne faisons qu’un. Le Dieu de la paix et le Maître de la concorde, qui nous a enseigné l’unité, a voulu qu’un seul prie pour tous comme lui-même a porté tous les hommes en lui seul. Les trois jeunes Hébreux, jetés à la fournaise [Dn 3, 52-88], ont observé cette loi de la prière. Lorsqu’ils priaient, leurs voix n’en faisaient qu’une, leurs esprits étaient accordés, ils n’avaient qu’un seul cœur. Nous pouvons croire ce que déclare l’Écriture : en nous enseignant comment ils priaient, elle donne un exemple que nous pouvons imiter dans nos prières, pour que nous puissions être exaucés comme eux. Alors, dit-elle, tous trois, d’une seule voix, chantaient un hymne el bénissaient Dieu. Ils priaient d’une seule voix, et, pourtant, le Christ ne leur avait pas encore enseigné à prier. Leur prière méritait d’être exaucée, elle fut efficace parce que la faveur du Seigneur était acquise à une prière pacifique, humble et spirituelle ».

    1. Membres d’un seul corps mystique dans l’unicité de la vraie foi

De même firent les apôtres assidus à se réunir pour prier. Même si on est isolé, en reprenant les paroles données par Dieu (le Pater) ou par l’Église (pour réciter l’office divin), on sort de sa petite personne pour devenir membre d’un corps mystique : « vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps » (1 Co 12, 27). Normalement, se reconnaître fils aimé d’un même Père éternel devrait nous faire vivre de la fraternité. L’Église aime à user (et abuser) du terme ‘communion’. Sauf qu’il est galvaudé. La véritable communion n’est pas artificielle, création humaine mais don reçu de Dieu. Aujourd’hui, on focalise beaucoup sur l’obéissance aux hiérarques de l’Église (pape, évêques). Le simple fait qu’il faille le rappeler sans cesse prouve qu’ils devraient, s’ils étaient à la hauteur, entraîner l’adhésion  des foules par leur saint exemple. Pourtant, dans la liste des critères de communion (CIC 205), on oublie l’ordre des trois liens (vincula communionis). La vraie communion repose d’abord sur une même foi partagée, sur une même pratique sacramentelle. Or, force est de constater que tel n’est plus le cas malheureusement. Comment nier les errements actuels dans la profession de foi ? Comment ignorer les sacrements administrés aux pécheurs publics non repentants (divorcés-remariés, homosexuels pratiquants, politiciens soutenant publiquement l’avortement et de l’euthanasie) ?

Le vrai chrétien doit mener une vie exemplaire en pratiquant  les vertus, au premier rang desquels vient la charité qui n’est pas de l’homme mais de Dieu comme vertu théologale La charité s’exprime entre autres par la compassion ou sympathie au sens étymologique de souffrir avec (aujourd’hui on abuse du mot empathie qui n’apporte rien de plus). Cela montre que l’autre n’est plus qu’un autre mais est devenu un alter ego, un autre moi-même. « Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie » (1 Co 12, 26). Ce « nexus duorum » (lien entre deux personnes) provient du Saint Esprit qui, au sein de la sainte Trinité, agit comme vinculum caritatis (lien de charité) entre le Père et le Fils pour nous y associer ad extra : « par lui, dans l’harmonie et la cohésion, tout le corps poursuit sa croissance, grâce aux articulations qui le maintiennent [connexum per omnem juncturam], selon l’énergie qui est à la mesure de chaque membre. Ainsi le corps se construit dans l’amour » (Ép 4, 16).

  1. La nécessité de la Croix
    1. Notre nécessaire purification passe par la souffrance

Celui qui veut sérieusement suivre le Christ ne pourra faire l’économie de la Croix. N’oublions pas que tous les saints sont passés par là comme le rappelle saint Louis-Marie Grignon de Montfort (lettre circulaire aux amis de la croix) :

« Il faut souffrir comme les saints...

30. Regardez, mes chers Amis de la Croix, regardez devant vous une grande nuée de témoins, qui prouvent, sans dire un mot, ce que je dis. Voyez, comme en passant, un Abel juste et tué par son frère; un Abraham juste et étranger sur la terre ; un Loth juste et chassé de son pays ; un Jacob juste et persécuté par son frère (…).

...sinon comme les réprouvés.

33. Mais enfin, si vous ne voulez pas souffrir patiemment, et porter votre croix avec résignation comme les prédestinés, vous la porterez avec murmure et impatience comme les réprouvés. Vous serez semblables à ces deux animaux qui traînaient l’Arche d’alliance en mugissant. Vous imiterez Simon de Cyrène, qui mit la main à la Croix même de Jésus- Christ malgré lui, et qui ne faisait que murmurer en la portant. Il vous arrivera enfin ce qui est arrivé au mauvais larron, qui du haut de sa croix tomba dans le fond des abîmes. Non, non, cette terre maudite où nous vivons ne fait point de bienheureux; on ne voit pas bien clair en ce pays de ténèbres; on n’est point dans une parfaite tranquillité sur cette mer orageuse; on n’est point sans combats dans ce lieu de tentation et ce champ de bataille; on n’est point sans piqûres sur cette terre couverte d’épines. Il faut que les prédestinés et les réprouvés y portent leur croix, bon gré mal gré. Retenez ces quatre vers:

Choisis une des croix que tu vois au Calvaire,

Choisis bien sagement; car il nécessaire

De souffrir comme un saint, ou comme un pénitent,

Ou comme un réprouvé qui n’est jamais content.

C’est-à-dire, que si vous ne voulez pas souffrir avec joie comme Jésus-Christ, ou avec patience comme le bon larron, il faudra que vous souffriez malgré vous comme le mauvais larron; il faudra que vous buviez jusqu’à la lie du calice le plus amer, sans aucune consolation de la grâce, et que vous portiez le poids tout entier de votre croix, sans aucune aide puissante de Jésus-Christ. Il faudra même que vous portiez le poids fatal que le démon ajoutera à votre croix, par l’impatience où elle vous jettera, et qu’après avoir été malheureux avec le mauvais larron sur la terre, vous alliez le trouver dans les flammes

[2. «Rien de si utile et de si doux»]

34. Mais si, au contraire, vous souffrez comme il faut, la croix deviendra un joug très doux, que Jésus-Christ portera avec vous. Elle deviendra les deux ailes de l’âme qui s’élève au ciel; elle deviendra un mât de navire qui vous fera heureusement et facilement arriver au port du salut. Portez votre croix patiemment, et par cette croix bien portée, vous serez éclairés en vos ténèbres spirituelles; car qui ne souffre rien par la tentation, ne sait rien ».

    1. Ne pas rendre l’insulte car nos persécuteurs sont ministres de Dieu

Il faut dépasser, à un certain moment, le mal qui nous est fait et suivre le Christ jusqu’au bout, pardonnant à nos ennemis : « Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice » (1 P 2, 23), tel le serviteur souffrant. Ceux qui nous font le plus souffrir nous sont souvent plus proches : on est surpris car on attendait pas cela comme si le coup venait d’un adversaire : « si l’insulte me venait d’un ennemi, je pourrais l’endurer ; si mon rival s’élevait contre moi, je pourrais me dérober. Mais toi, un homme de mon rang, mon familier, mon intime ! Que notre entente était bonne, quand nous allions d’un même pas dans la maison de Dieu ! » (Ps 54, 13-15).

Ne nous y trompons pas ! Nous devons tous être purifiés par des croix, alors reconsidérons ceux qui nous font du mal à cette lumière. Voyez ce que répondait le roi David élu de Dieu mais très pécheur (adultère, meurtrier) :

« Comme le roi David atteignait Bahourim, il en sortit un homme du même clan que la maison de Saül. Il s’appelait Shiméï (…). Tout en sortant, il proférait des malédictions. Il lançait des pierres à David et à tous les serviteurs du roi, tandis que la foule et les guerriers entouraient le roi à droite et à gauche. Shiméï maudissait le roi en lui criant : ‘Va-t’en, va-t’en, homme de sang, vaurien ! Le Seigneur a fait retomber sur toi tout le sang de la maison de Saül dont tu as usurpé la royauté ; c’est pourquoi le Seigneur a remis la royauté entre les mains de ton fils Absalom. Et te voilà dans le malheur, car tu es un homme de sang’. Abishaï (…) dit au roi : ‘Comment ce chien crevé peut-il maudire mon seigneur le roi ? Laisse-moi passer, que je lui tranche la tête’. Mais le roi répondit : ‘Que me voulez-vous (…) ? S’il maudit, c’est peut-être parce que le Seigneur lui a ordonné de maudire David. Alors, qui donc pourrait le lui reprocher ? » (2 Sm 16, 5-10).

Et saint Louis-Marie commente : « Ainsi, quand vous verrez un Shimeï vous dire des injures, vous jeter des pierres comme au roi David, dites en vous- mêmes: " Ne nous vengeons point, laissons-le faire, car le Seigneur lui a ordonné d’en agir ainsi. Je sais que j’ai mérité toutes sortes d’outrages et c’est avec justice que Dieu me punit. Arrêtez-vous, mon bras; vous, ma langue, arrêtez- vous; ne frappez point, ne dites mot. Cet homme ou cette femme me disent ou font des injures; ce sont les ambassadeurs de Dieu qui viennent de la part de sa miséricorde pour tirer vengeance à l’amiable ».

Nous persécuteurs sont aussi les ministres de la purification voulue par Dieu. tout est dans sa main. Eux paieront pour l’injustice mais cette injustice subie nous sauve et nous vaut des mérites si nous l’endurons unis au Sacré-Cœur. L’impératrice Zita qui eut bien sa part des croix ajouta : « Mais il faut adorer et baiser la main qui nous frappe, car c’est certainement pour notre bien. Notre confiance est restée la même. Ce qui a l’air impossible se fera puisqu’Il l’a dit »  (lettre à Sr Marie-Hilaire vers la mi-janvier 1921).

Date de dernière mise à jour : 23/06/2024