8e Pentecôte (14/07 - lect. thom. ép.)

Homélie du 8e dimanche après la Pentecôte (14 juillet 2024)

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Lecture thomiste de l’épître (Rm 8, 12-17)

Saint Paul contrapose assez strictement la chair et l’esprit. Par l’Esprit Saint nous obtenons de grands avantages : la vie de grâce dès ici-bas et la vie de gloire dans l’au-delà. Donc nous ne sommes redevables qu’envers lui pour ces bienfaits : « puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit » (Ga 5, 25). Au contraire, de la prudence de la chair résulte la mort. Si nous demeurons dans la concupiscence ou triple convoitise de volupté (libido sentiendi), curiosité malsaine (libido sciendi) et orgueil (libido dominandi) (1 Jn 2, 16-17, Vulg.), nous mourrons par notre faute et serons damnés dans la vie future. Pour vivre par l’Esprit, il faut mortifier, « tuer les œuvres de la chair » (τὰς πράξεις τοῦ σώματος θανατοῦτε) : « ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises » (Ga 5, 24). « Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais, et cette soif de posséder, qui est une idolâtrie. Voilà ce qui provoque la colère de Dieu contre ceux qui lui désobéissent » (Col 3, 5-6).

  1. L’Esprit d’adoption filiale

Le syllogisme de saint Paul est 1) tous les enfants de Dieu obtiennent la vie glorieuse (mineure) ; 2) or tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit Saint sont enfants de Dieu (majeure) ; 3) donc, qui est dirigé par l’Esprit de Dieu obtient l’héritage de la vie éternelle (conclusion).

Sont conduits par l’Esprit de Dieu ceux qui se laissent diriger par ce maître intérieur, nous éclairant pour que nous sachions quoi faire : « votre Esprit souverainement bon me conduira dans la voie droite » (Ps 142, 10, Vulg.). L’homme juste obéit à cette impulsion supérieure car l’ordre de la grâce n’en est rien inférieur à celui de la nature. Si les animaux privés de raison agissent instinctivement poussés par la nature créée par Dieu, de même l’homme spirituel est poussé à agir non principalement par le mouvement de sa propre volonté, mais sous l’inspiration de l’Esprit : « il viendra comme un fleuve impétueux que pousse l’Esprit de Dieu » (Is 59, 19, Vulg.). Le Sauveur ainsi « fut poussé par l’Esprit dans le désert » (Lc 4, 1). Les hommes spirituels ne perdent pourtant ni leur capacité de vouloir ni leur libre arbitre produits en eux par l’Esprit Saint : « car c’est Dieu qui agit pour produire en vous la volonté et l’action, selon son projet bienveillant » (Ph 2, 13).

Ceux qui sont poussés par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu. La génération spirituelle, qui procède du Père, a pour auteur l’Esprit Saint. Aux élus, il est donné d’être engendrés comme enfants de Dieu : « mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu » (Jn 1, 12-13). Cela est évident en comparant aux enfants charnels, qui tirent de leur père leur génération selon la chair.

Saint Paul prouve d’abord que ceux qui reçoivent l’Esprit de Dieu deviennent enfants de Dieu par les deux dons de l’Esprit Saint de crainte (Is 11, 2) et de piété filiale ou charité honorant le Père : « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). S’il n’y avait que la crainte, nous serions des esclaves, mais le don de crainte est tempéré par l’amour de la piété filiale.

  1. Les différents types de craintes

La crainte a deux objets : le mal et celui qui l’inflige comme un condamné craint l’exécution de la peine de mort et le chef qui prononce la peine. Quelquefois le mal craint s’oppose au bien corporel auquel on est trop attaché : il faut ainsi plutôt accepter le martyre en perdant la vie corporelle plutôt qu’apostasier pour préserver son Paradis. Jésus condamne cette crainte mondaine qui ne vient pas de l’Esprit Saint : « ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme » (Mt 10, 28). Une autre crainte fuit le mal de peine, opposé à la nature créée, qu’on subit de la main de Dieu. Cette louable crainte vient de l’Esprit : « si seulement ils avaient à cœur de me craindre et de garder mes commandements, chaque jour, pour leur bonheur et celui de leurs fils, à jamais ! » (Dt 5, 29). Mais si elle fuit non le mal du péché mais seulement son châtiment, elle est imparfaite et servile au lieu d’être filiale, comme la foi informe. Donc, si inspirés par cette crainte, nous faisons quelque bonne action, elle ne sera pas bien faite parce qu’il manque la spontanéité vu que nous sommes contraints par la crainte du châtiment. Une troisième crainte fuit le péché et la séparation de Dieu qu’elle redoute d’encourir par une juste vengeance. Elle est propre aux commençants, propre des pécheurs au début de leur conversion : « la sagesse commence avec la crainte du Seigneur » (Ps 110, 10).

La quatrième espèce de crainte n’envisage que le salut spirituel et ne veut ni déplaire à Dieu ni décevoir celui qui place ses attentes en nous. Elle est sainte et subsiste dans l’éternité : « la crainte qu’il inspire est pure, elle est là pour toujours » (Ps 18, 10) car fille de la charité parfaite : « l’amour parfait bannit la crainte ; car la crainte implique un châtiment, et celui qui reste dans la crainte n’a pas atteint la perfection de l’amour » (1 Jn 4, 18). Elle fait la liberté des enfants de Dieu où l’homme agit volontairement pour l’honneur de Dieu.

  1. Des enfants libres

La Loi ancienne fut donnée dans la crainte, marquée par le tonnerre, les éclairs, la lourde nuée et le cor sonnant qui terrorisaient Israël (Ex 19, 16-19). « Le spectacle était si effrayant que Moïse dit : ‘Je suis effrayé et tremblant’ » (Hé 12, 21). La menace du châtiment portait à garder les commandements de Dieu, mais dans un esprit de servitude : « la première Alliance, celle du mont Sinaï, met au monde des enfants esclaves » (Ga 4, 24). Au contraire, l’alliance nouvelle, loi de liberté, engendre des enfants libres (Ga 4, 26). Au lieu de craindre les châtiments, nous recevons l’Esprit Saint, lien de charité qui fait de nous des enfants d’adoption : « lorsqu’est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et soumis à la loi de Moïse, afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi et pour que nous soyons adoptés comme fils. Et voici la preuve que vous êtes des fils : Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie ‘Abba !’, c’est-à-dire : Père ! » (Ga 4, 4-6). C’est pourtant le même Esprit qui produit un effet différent selon la personne qui le reçoit : amour imparfait ou parfait. Il faut donc cultiver une bonne terre d’humilité confiante comme dans la petite voie de l’enfance de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face pour mieux faire fructifier la même semence.

Au v. 15, l’apôtre invoque comme nouvel argument notre témoignage. Instruits par Notre Seigneur Jésus-Christ d’avoir Dieu pour Père, nous le professons en récitant le ‘Pater noster’ (Mt 6, 9), équivalent de l’araméen ‘Abba’. Comme prophétisé, Juifs et Gentils (païens) recourent au même Père : « Tu m’appelleras ‘Mon père’, tu ne te détourneras plus de moi » (Jr 3, 19). Ce langage émane, au-delà du son émis par la voix, d’un désir du cœur, si vif qu’il est appelé un cri, même silencieux comme Moïse désemparé par la révolte de son peuple (Ex 14, 15). Cette vivacité du désir procède du sentiment filial d’amour produit en nous par l’Esprit Saint, le même qui fait confesser la sainteté divine aux séraphins, tout embrasés de l’amour divin tellement ils lui sont proches comme premier chœur des anges (sharaph en hébreu = brûlant) (Is 6, 2-3). L’Esprit Saint témoigne lui-même de cela (1 Jn 5, 7-8) non par des sons extérieurs aux oreilles des hommes, comme le Père l’a fait à l’égard de son Fils lors de la théophanie ou manifestation du baptême divine en disant « celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie » (Mt 3, 17) mais par l’amour filial qu’il produit en nous si nous lui obéissons (Ac 5, 32).

  1. Cohéritiers du Christ

Enfin, saint Paul pose sa majeure au v. 17. L’héritage est dû aux enfants, même adoptifs (1 P 1, 3-4). Ainsi que le fit le patriarche, l’héritier reçoit les biens principaux (légataire universel) et non seulement quelques menus présents : « Abraham donna tous ses biens à Isaac. Il fit des donations aux fils de ses concubines » (Gn 25, 5). Mais ici cet héritage est le meilleur qui soit : « la part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ! » (Ps., 15, 6) car ce n’est pas autre chose que Dieu lui-même nous sanctifiant o udivinisant, donc partageant son être même « le Seigneur est la part qui m’est échue en héritage » (Ps 15, 5, Vulg.). D’où l’impossibilité de donner autre chose qu’un même salaire à tous les ouvriers, convertis tôt ou tardivement (Mt 20, 1-16 pour la parabole des ouvriers de la onzième heure). En effet, Dieu est riche de lui-même et non par quelque autre trésor car il n’a besoin de rien.

Cependant, pourrait-on objecter, comme le fils n’hérite qu’à la mort de son père et que Dieu est immortel, n’entrera-t-il jamais en possession de son héritage ? Cette condition ne vaut que pour les biens temporels, qui ne peuvent être possédés par plusieurs en même temps. Les biens spirituels, eux, peuvent être partagés sans léser quiconque (la connaissance) car Dieu peut rassasier tous ses enfants sans s’épuiser. Et finalement, le seul héritier vraiment légitime, Fils par nature, meurt bien en se laissant tuer par les héritiers adoptifs qui ainsi s’emparent de sa part dans la parabole des vignerons homicides : « Voici l’héritier : venez ! tuons-le, nous aurons son héritage ! » (Mt 21, 33-46). Nous sommes donc cohéritiers du Christ car nous participons à sa filiation divine, mais il est l’héritier principal auquel nous sommes associés.

Mais si lui, qui n’était pas soumis à la loi de mortalité, l’a assumée librement pour nous et de la plus cruelle des façons, nous aussi serons associés à sa souffrance pour accéder à ce même héritage : « si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire » (v. 17). La nature humaine du Fils éternel, en Jésus Christ, héritier principal, n’est parvenue à l’héritage de la gloire que par les souffrances : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26). Nous n’arriverons pas à cet héritage par un chemin plus facile : « il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu » (Ac 14, 22). La Vierge prévenait sainte Bernadette à Lourdes : « je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde, mais dans l’autre » (3e apparition, 18 février 1858). En effet, si nous ne recevons pas dès cette vie un corps immortel et impassible comme dans l’éternité bienheureuse, c’est pour que nous puissions souffrir avec le Christ et pour que nous supportions patiemment avec Jésus-Christ les épreuves de ce monde : « si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons » (2 Tm 2, 11, cf. Rm 6, 8).

 

Date de dernière mise à jour : 14/07/2024