10e Pentecôte (28/07 - lect. thom. ép.)

Homélie du 10e dimanche après la Pentecôte (28 juillet 2024)

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Lecture thomiste de l’épître (1 Co 12, 2-11)

Saint Paul, après avoir traité des sacrements du baptême, mariage et Eucharistie, s’intéresse à leur premier effet qu’est la grâce venant d’un seul Esprit qui se manifeste toutefois par divers dons puis charismes. Si, suivant Sénèque (Traité des bienfaits), la pire des ingratitudes est de méconnaître les bienfaits reçus, il convient, pour ne pas manquer de reconnaissance envers Dieu, de ne pas ignorer les grâces spirituelles reçues : « or nous, ce n’est pas l’esprit du monde que nous avons reçu, mais l’Esprit qui vient de Dieu, et ainsi nous avons conscience des dons que Dieu nous a accordés » (1 Co 2, 12).

  1. Absolue nécessité de la grâce sanctifiante

On comprend mieux la nécessité et bonté d’une chose lorsqu’elle vient à manquer. Saint Paul rappelle aux Corinthiens leur passé de païens « qui se laissent guider par le néant de leur pensée » (Ép 4, 17), qui « vont au mal d’un pied rapide » (Pr 1, 16). Avant la grâce, ils cheminaient ainsi dans le péché. On adore tous quelque chose, consciemment ou non, soit un vrai Dieu bon, soit des idoles muettes qui « ont une bouche et ne parlent pas, des yeux et ne voient pas » (Ps 113 B, 5). L’apôtre insiste sur le défaut de la parole qui montre normalement la connaissance. Ces idoles ne manifestent donc aucune intelligence, comme les Hébreux trahissaient le vrai Dieu pour le veau d’or pour imiter les païens, idolâtriques de divinités animales (Hathor la vache égyptienne, Ganesh, l’éléphant hindou) : « ils échangeaient ce qui était leur gloire pour l’image d’un taureau, d’un ruminant » (Ps 105, 20). Ils se laissaient conduire sur ces chemins de perdition sans résistance aucune, menés à l’abattoir par l’instinct grégaire (Pr 7, 22) , pour faire comme tout le monde autour d’eux et admirant le pouvoir rutilant de vaines statues d’or et d’argent. Or, les faux dieux sont de vrais démons qui veulent être adorés, comme lors de la tentation au désert de Notre Seigneur (Mt 4, 9).

L’idolâtrie est un grave péché car elle usurpe la majesté divine, volant le respect ou crainte dus au seul vrai Dieu. Ainsi adorer le soleil ou la lune (cf. Jb 31, 26-28), au sens étymologique d’ad orem, de os/oris, la bouche à laquelle on porte sa main pour envoyer un baiser. Cette idolâtrie entraine vers d’autres péchés : « oui, le culte des idoles sans nom est le commencement, la cause et le comble de tout mal » (Sg 14, 27). Et ce péché est si répandu chez tant de peuples qu’il paraît une bagatelle : « néant, tous les dieux des nations ! Lui, le Seigneur, a fait les cieux » (Ps 95, 5). Or, on ne peut se préserver du péché mortel qu’en observant tous les préceptes de la loi, ce qui n’est possible que par la grâce (contrairement à l’hérésie pélagienne). Sans la grâce, personne n’aurait la charité qui nous fait aimer Dieu par-dessus toutes choses (cf. Rm 5, 5). L’homme n’évite tout péché qu’à la mesure dont il préfère Dieu à tout le reste car on méprise davantage ce qu’on aime moins. Celui qui n’a pas la grâce pourra s’abstenir quelque temps du péché mais viendra un moment où il préférera quelque objet qui le portera à mépriser le précepte divin, ce qui l’entraînera au péché : « Si Dieu ne m’eût assisté, il s’en serait de peu fallu que mon âme fût tombée dans l’enfer » (Ps 93, 17, Vulg.).

Qui est en état de grâce, ne pourrait dire un blasphème comme « anathème à Jésus ! » car « tout esprit qui refuse de proclamer Jésus, celui-là n’est pas de Dieu » (1 Jn 4, 3). Il en est de même des autres péchés mortels qui séparent de Jésus-Christ : « ce sont vos crimes qui font la séparation entre vous et votre Dieu » (Is 59, 2). Toutefois, ne nous illusionnons pas. L’homme en qui inhabite l’Esprit Saint possède donc la grâce qui aide à éviter de pécher mortellement (1 Jn 3, 9). Mais l’imperfection de la volonté humaine résiste à l’Esprit Saint (Ac 7, 51) et il peut pécher évidemment car le libre arbitre demeure dans la vie présente. Voilà pourquoi saint Paul dit exprès, non pas ‘personne ayant l’Esprit de Dieu’, mais ‘personne parlant dans l’Esprit de Dieu’. De la même manière, des personnes en qui n’habite pas l’Esprit Saint peuvent être inspirées par lui, occasionnellement comme un menteur dit aussi des choses vraies. Ainsi de Balaam (Nb 23-24) ou Caïphe (Jn 11, 51) furent inspirés du maître de la vérité (Jn 16, 13). A fortiori lorsqu’on énonce des vérités de foi comme ‘Jésus est le Seigneur de toutes les créatures’ (ex. Ac 2, 36). Mais il faut œuvrer non seulement des lèvres mais du coeur et en actes. Or, sans la grâce, l’homme ne peut rien faire de bien : « en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5).

  1. Distinction des grâces venant d’un même Esprit

Si la grâce sanctifiante est nécessaire, elle n’est pas donnée à tous dans toute sa plénitude. Certains reçoivent plus abondamment de telle grâce ou telle autre : les charismes. La parabole des talents évoque cette diversité des mesures : « à l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités » (Mt 25, 15). Seule la tête de l’Église, comme dans le corps, réunit tout car Jésus-Christ a tout reçu sans mesure (Jn 3, 34). Mais cela se retrouve partiellement et avec une acuité particulière chez les membres du corps, à la manière d’une lumière difractée par un cristal ou le fleuve du paradis terrestre qui se divisait en quatre (Gn 2, 10). Les païens eux, attribuaient à plusieurs divinités telle qualité (Minerve, Mercure) alors que nous confessons un seul auteur, un seul Esprit : « comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul corps et un seul Esprit » (Ép 4, 4). L’Esprit est « unique et multiple » (Sg 7, 22) car l’unicité relève de sa substance, l’amour, commune aux trois personnes divines et la multiplicité de ses dons suivant les récipiendaires.

Il est nécessaire, pour le gouvernement de l’Église, qu’il y ait diversité de ministères et d’offices, car les pasteurs sont ministres de l’Église, intendants des mystères ou sacrements (1 Co 4, 1). Or, contrairement au monde moderne qui scande à tout vent le slogan de la parfaite égalité pour aussitôt demander des privilèges, la pensée scholastique considère qu’il convient à la beauté et à la perfection de l’Église qu’il y ait en elle diversité de ministères marqués par les ordres, chacun étant à sa place comme l’admirait la reine de Saba dans le palais du roi Salomon (1 R 10, 5, Vulg.). Mais tous servent le même Seigneur (1 Co 8, 6). Enfin l’Apôtre établit la diversité d’œuvres. L’homme fait son devoir d’état : « l’homme sort pour son ouvrage, pour son travail » (Ps 103, 23). « Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous » (v. 6). La première cause opère dans les causes secondes quand elles font le bien (alors que pour le mal, elles le tirent de leur propre fonds) : « Seigneur (…) dans toutes nos œuvres, toi-même agis pour nous » (Is 26, 12).

  1. Sauver les âmes par les charismes

Comme tout membre dans le corps reçoit, de quelque manière, de la tête le sentiment ou le mouvement, ainsi il n’est personne dans l’Église qui ne reçoive quelque chose des grâces du Saint Esprit, suivant ses capacités : « à chacun d’entre nous, la grâce a été donnée selon la mesure du don fait par le Christ » (Ép 4, 7). L’effet propre de la grâce gratuitement donnée (gratia gratis data) ou charisme n’est pas d’abord l’inhabitation de l’Esprit dans l’âme comme pour la grâce sanctifiante (gratia gratum faciens) mais de manifester extérieurement l’action du Saint Esprit comme les mouvements intérieurs du coeur se manifestent par la voix : « l’esprit souffle où il veut, et vous entendez sa voix » (Jn 3, 8, Vulg.). Le Saint Esprit est manifesté de deux manières par ces grâces. D’abord en habitant dans l’Église qu’il instruit et sanctifie en la confirmant pour montrer que la foi prêchée est véritable : « Dieu joignait son témoignage par des signes, des prodiges, toutes sortes de miracles, et le partage des dons de l’Esprit Saint, selon sa volonté » (Hb 2, 4). Ensuite, ces grâces manifestent l’Esprit Saint comme habitant dans tel homme comme Étienne, plein de force, faisait des prodiges et des miracles sans nombre (Ac 6, 8), ce qui n’est accordé qu’aux saints.

De peur que cette manifestation extérieure n’apparaisse inutile, l’Apôtre ajoute pour l’utilité de tous. Les charismes servent à l’édification de l’Église (cf. 1 Co 14, 12) et sont donc au service des autres, pour le bien pastoral, sauver les âmes alors que la grâce sanctifiante est pour sauver la sienne propre : « sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés » (1 Co 10, 33). Cela prouve la vérité de la doctrine de l’Église pour affermir les fidèles et convertir les infidèles en faisant ressortir la sainteté d’un de ses enfants proposée à l’imitation des autres. Un homme peut procurer le salut des autres mais il ne peut agir intérieurement, domaine réservé à Dieu seul. Il ne peut que persuader extérieurement.

Persuader exige la certitude des principes et la justesse des conclusions. Le don de sagesse s’occupe des choses principales ou divines (v. 8) : « c’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer » (Lc 21, 15). Le don de science s’occupe non des conclusions secondaires ou connaissance des créatures qui disent aussi quelque chose de leur Créateur : il « lui donna la connaissance de réalités saintes » (Sg 10, 10). Ici il ne s’agit pas des deux dons de l’Esprit Saint (Is 11, 2) donnés à tous avec la grâce sanctifiante mais de parler avec sagesse et avec science pour persuader de l’amour de Dieu. Il en est de même de la foi (v. 9), qui n’est pas ici la vertu nécessaire au salut : « sans la foi, il est impossible d’être agréable à Dieu » (Hb 11, 6), mais le charisme d’expliquer la foi ou d’avoir une plus grande certitude : « femme, grande est ta foi » (Mt 15, 28).

Les vérités de la doctrine du salut ne peuvent être confirmées ou prouvées par le raisonnement, parce qu’elles dépassent la portée de la raison humaine (cf. Sir 3, 25, Vulg.). Elles ne le sont comme chez Moïse (Ex 4, 1-10) que par des signes divins tel un sceau royal confirmant que c’est fait par ordre du roi. Le signe divin ou miracle ne vient que de Dieu seul. Les guérisons (Jr 17, 14) persuadent par leur grandeur et le bienfait obtenu ; les autres seulement en raison du fait miraculeux (Ga 3, 5) comme la mer divisée (Ex 14, 21) ou le soleil et la lune s’arrêtant dans les cieux (Js 10, 13). Prophétiser (v. 10) comme l’annonçait Joël (Jl 2, 28) est un autre signe divin car Dieu seul connaît un futur contingent : « Annoncez-nous ce qui viendra, et nous saurons que vous êtes des dieux ! » (Is 46, 23). Par « discerner les esprits » il distingue qui est poussé par l’esprit de charité ou de jalousie (cf. 1 Jn 4, 1), donc lire dans le cœur (cardiognosie), qui est aussi le propre de Dieu (Jr 17, 9-10) partagé à certains saints.

Persuader consiste à parler aux autres intelligiblement. Mais deux obstacles surviennent. Face à la diversité des langues (v. 10), certains saints se font entendre dans des langues qu’ils n’ont jamais apprises ni prononcées comme les apôtres à la Pentecôte (Ac 2, 4) ou saint Vincent Ferrier parlant en catalan mais compris des Bretons. Ensuite certains passages bibliques sont si difficiles qu’il faille une juste interprétation comme Joseph interprétant les rêves par oniromancie : « N’est-ce pas à Dieu qu’il appartient d’interpréter ? » (Gn 40, 8) ou Daniel déchiffrant l’inscription faite par la main au mur : « j’ai entendu dire aussi que tu es capable de donner des interprétations et de résoudre des questions difficiles » (Dn 5, 16). Mais saint Paul précise que l’auteur des grâces n’est autre que l’Esprit Saint qui distribue comme bon lui sembles ces charismes, qui ne sont certes pas indispensables pour être sauvé mais aident pourtant le prochain.

Date de dernière mise à jour : 28/07/2024