Homélie de la Sexagésime (23 février 2025)
La parabole du semeur
La Sexagésime médite la parabole du semeur (Lc 8, avec les nuances de Mt 13, Mc 4).
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- La semence a une efficacité en soi
- Nous ne sommes pas une religion du livre
« De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, pour fournir la semence au semeur et le pain à manger, ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir accompli ce que j’ai voulu et réalisé l’objet de sa mission » (Is 55, 10-11). La parole semée n’est pas un livre mais le Christ. L’Église ne doit pas idolâtrer le livre, simple support matériel de la proclamation orale faite par le ministre. Le christianisme n’est pas une religion du livre, concept musulman à rejeter, mais une religion de l’Incarnation. Des abus modernes (Allemagne, Chemin Néocatéchuménal) placent sur le même plan la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie avec celle spirituelle dans la Bible, mise à égalité avec le tabernacle ! Cette indifférenciation des modes de présence du Christ fait trôner le prêtre au centre, à la place du tabernacle, relégué latéralement : un culte de l’homme (Paul VI) !
- Le Christ Jésus, Parole sortie du Père devenue homme
« Le semeur est sorti » : le Christ, vraie Parole de Dieu, a pris une nature humaine par l’Incarnation. Il ne sort pas de la divinité ni de la Trinité et reste Dieu mais tout en se rendant visible par son corps qui le fait proche de nous : « ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons touché, c’est cela que nous vous annonçons, le Verbe de vie » (1 Jn 1, 3). Il s’est abaissé par la kénose (Phil 2) à notre niveau. Si le Christ est la semence, il porte du fruit. En l’absence de fruits constatable, la faute en revient au récipiendaire car la grâce est reçue à la mesure de celui qui reçoit (quodquod recipitur, recipitur in modo recipientis). La réceptivité, collaboration de l’homme avec Dieu, est essentielle. Dieu sème largement, même où cela semblerait inutile. Un laboureur économiserait sa semence en évitant le bord du chemin ou les épines. Dieu n’est pas économe, laisse sa chance à tous même si tous ne l’accueilleront pas.
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- Les quatre cas
- Les trois échecs
Le grain foulé au pied ou mangé par les oiseaux est le travail du diable, attaque extérieure. Les deux autres sont intérieurs car le démon joue avec nos propres passions, péchés et faiblesses. Si la maison bâtie sur le roc subsiste car fondée sur Dieu El Shaddaï, le grain tombé sur « le sol pierreux » se dessèche par manque d’humidité. Les racines, assurent la solidité à la plante, recherchent l’eau, figure du baptême, source de la grâce baptismale. Revenons-y sans cesse par le pardon de nos péchés, grâce à la confession qui restaure cette grâce sanctifiante perdue. « Béni soit l’homme qui se confie dans le Seigneur, et dont le Seigneur est la foi. Il ressemble à un arbre planté au bord des eaux, qui étend ses racines vers l’humidité ; il ne redoute rien quand arrive la chaleur » (Jér 17, 8).
Racine (ρίζα d’où rhizome en botanique) donne ‘rejeton’, le Messie : « Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un surgeon poussera de ses racines » (Is 11, 1). Le baptême nous ente ou greffe sur le Christ. Le canon de la messe figure cet embolisme dans la prière. Parce que Dieu a agi ainsi dans le passé (anamnèse), nous demandons l’intervention de l’Esprit-Saint maintenant (épiclèse) pour opérer l’œuvre du salut dans l’Eucharistie. Le greffon sauvage mis sur l’olivier franc (Rm 11, 24) fait que les païens sont bénéficiaires comme Israël. « Le reste survivant de la maison de Juda, produira des racines en bas et des fruits en haut » (Is 37, 31).
Les épines (akanthos) évoquent les raisins sauvages : « Mon bien-aimé avait une vigne, sur un coteau fertile. Il la bêcha, il l’épierra, il y planta du raisin vermeil. Au milieu, il bâtit une tour, il y creusa même un pressoir. Il attendait de beaux raisins : elle donna des raisins sauvages » (Is 5, 1-2). Mais les feuilles d’acanthe, motif des chapiteaux corinthiens, figurent encore l’orgueil sûr de soi. Adam après la chute est maudit en travaillant le sol à la sueur de son front : quand il sème, il ne reçoit que des épines. Le Christ, nouvel Adam, fut couronné d’épines et assuma cette malédiction du péché sans en avoir contracté lui-même. Si cette fécondité du baptisé ne vient pas, Dieu déçu, punira par l’enfer : « les peuples seront consumés comme par la chaux, épines coupées, ils seront brûlés au feu » (Is 33, 12).
- La bonne terre
Trois cas sur quatre (le bord du chemin, le sol pierreux et les épines) sont négatifs. Un seul est positif (la bonne terre). Il est plus facile de mal faire que de bien faire car « il y a plus de conditions requises pour le bien ‘qui exige l’intégrité de sa cause’, que pour le mal qui procède ‘de défauts particuliers’ » (III, 90, 2, ad 4). Pour qu’une action soit bonne, il faut la contribution de tous les éléments nécessaires à sa quadruple bonté : son être bon (genre), l’objet approprié (espèce), les circonstances et l’intention (I-II, 18, 4).
Le salut reste un combat. Si cela commençait plutôt bien (« ceux qui ont entendu » ou « accueillent la parole avec joie »), toute la question est de persévérer : « avec la patience ». Par la constance, ne nous laissons pas détourner de Dieu mais réenracinons-nous en lui face aux dangers. Les épines sont les soucis qui, s’ils nous absorbent, font manquer de confiance en la Divine Providence. Par orgueil, nous reprenons les rênes de nos vies (cf. poème invictus repris par Nelson Mandela). Nous croyant maîtres de nos vies, nous ne savons plus lâcher prise. « De toute votre inquiétude, déchargez-vous sur lui car il a soin de vous » (1 P 5, 7) ; « les soucis font vieillir l’homme avant l’heure » (Sir 30, 24). Richesses et plaisirs (ἡδονή) évoquent l’hédonisme qui, au lieu du temps nécessaire à consacrer à Dieu par la prière ou les sacrements, nous fait préférer des plaisirs terrestres, pas mauvais en soi, mais à utiliser avec discernement (prudence) et mesure (tempérance) au risque sinon de nous accaparer.
Sacrements et vertus gardent ouvert notre esprit afin de porter du fruit. Le rendement diffère suivant la qualité de la bonne terre. Le néophyte ou néo-converti est un jeune plant (cf. phytothérapie, la médecine des plantes) dont il faut prendre soin comme dans une serre. Le séminaire (de semence en latin : semen, seminis) fait éclore les vocations sacerdotales qui diffuseront le fruit du Christ que nous devons imiter en semant largement : « Qui sème chichement moissonne aussi chichement, qui sème largement moissonnera aussi largement » (2 Co 9, 6).