Homélie de la Chandeleur (2 février 2025)
Lecture spirituelle de l’évangile
La méditation à partir du texte grec et les concordances où les expressions sont repérées à chacune de leur occurrence pour faciliter des rapprochements lexicaux peuvent renouveler le regard sur des textes presque trop connus. Plusieurs termes sont proprement lucaniens, présents dans l’évangile selon saint Luc et les Actes des Apôtres qu’il rédigea aussi.
- Une relation de filiation ouverte au partage
L’impression qui se détache est proprement sotériologique, cette branche de la théologie christologique qui s’intéresse au salut des hommes. N’oublions jamais que Dieu veut nous sauver, car autrement, si nous ne recevions pas son salut, nous serions condamnés à l’enfer, à ne regarder que notre propre faiblesse voire malignité et pas son infinie miséricorde. Pesons le poids des mots : nous risquions la mort éternelle ! Mais le Christ accomplit un plan divin prévu de toute éternité. « Les jours étaient accomplis » (ἐπλήσθησαν αἱ ἡμέραι) fait penser à saint Paul dont Luc fut le secrétaire : « lorsqu’est venue la plénitude des temps (τὸ πλήρωμα τοῦ χρόνου), Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et soumis à la loi de Moïse, afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi et pour que nous soyons adoptés comme fils » (Ga 4, 4-5). Dieu prit les choses en main, par l’incarnation, sans plus passer par des patriarches, juges, rois et prophètes de l’ancienne alliance, clôturée par le Baptiste.
Mais cette plénitude invite aussi à être rempli de Dieu, une fois que nous nous serions vidés de nous-mêmes, comme le fit le Fils par la kénose : « le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes (…) afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : ‘Jésus Christ est Seigneur’ à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2, 5-7.10-11).
‘Consacré’ (κληθήσεται, klèthèsetaï > ecclésiastiques) est aussi simplement appelé, comme tous les membres de l’Église. Mais plus que dans le simple sens d’invité qu’il a aussi, peut s’y ajouter la nuance d’autorité d’un souverain qui convoque un serviteur en audience pour lui confier une mission. Si bien que le sens de nommer indique aussi pratiquement une charge dans le nom, dont un lien spécial avec Dieu de vocation. Plus que le rachat habituel, saint Luc parle de présentation. La relation de Jésus au Temple compte plus, le lieu où le prêtre offre le sacrifice. Jésus appartient à Dieu. Joseph et la Vierge Marie ratifient cette appartenance par l’offrande de l’enfant à Dieu. Jésus est saint, il est de Dieu et s’offrira lui-même en sacrifice sur la Croix : il est à la fois l’offrande, l’autel et le prêtre. Jésus est en réalité le vrai Temple définitif qui sera relevé en trois jours (Mt 26, 61 ; Mc 14, 58 et 15, 29 ; Jn 2, 19).
- Un sacrifice propitiatoire : agréable à Dieu
« Leur purification » (καθαρισμοῦ) renvoie à une commune purification, pas seulement de la Vierge mais aussi de l’enfant. Pourtant, ni l’un ni l’autre n’en avaient aucunement besoin ! Du point de vue spirituel, aucun des deux n’est entaché du péché originel. Du point de vue corporel, la naissance miraculeuse du Christ préserva la virginité de sa mère in partu, passant à travers l’hymen, et ne provoqua pas d’épanchement de sang. Or, c’est ce sang, assimilé au flux menstruel (Lv 15, 19), que la loi mosaïque entendait purifier par ce rite. Mais pleins d’humilité, mère et Fils entendaient respecter les règles qui ne les concernaient pas, pour ne pas choquer leurs contemporains ni prêter le flanc de s’exonérer du fardeau commun. Eux bougent le petit doigt et portent avec nous ce joug (Ζεῦγος), contrairement aux scribes et pharisiens (Lc 11, 46).
Le sacrifice des oiseaux est prescrit dans la Loi de Moïse (Lv 12, 8) : « Si elle ne trouve pas une somme suffisante pour une tête de petit bétail, elle prendra deux tourterelles ou deux jeunes pigeons, l’un pour l’holocauste et l’autre pour le sacrifice pour la faute. Le prêtre accomplira sur la femme le rite d’expiation, et elle sera purifiée ». La double offrande a donc à la fois une fonction d’holocauste, ce type de sacrifice où l’offrande était entièrement consumée par le feu mais aussi une fonction d’expiation ou rachat des fautes à pardonner (Lv 5, 7-10). Le Christ est totalement donné à Dieu le Père comme dans un holocauste mais d’un autre côté, se laisse manger comme un sacrifice de communion. Cette purification rappelle aussi celle des lépreux qu’évoquait le Christ dimanche dernier : « De l’une des tourterelles ou de l’un des jeunes pigeons, selon ce qu’il aura pu se procurer, il fera un sacrifice pour la faute et, de l’autre, un holocauste accompagné de l’offrande de céréales » (Lv14, 30-31). Or, les céréales évoquent le pain et avec le sang annoncent l’Eucharistie, sang et pain de vie.
De même, le verbe ‘anagô’ (ἀνήγαγον < ἀνάγω) signifie mener/porter en haut, présenter une offrande, ce qui exprime bien qu’ils rendent à Dieu le Fils qu’il leur a donné à la conception duquel saint Joseph et la sainte Vierge n’ont pas contribué en tant que couple si ce n’est par la coopération passive de la mère de Dieu qui se laissa volontairement et miraculeusement féconder par l’Esprit-Saint. D’ailleurs, l’enfant qui, littéralement, « ouvre sa mère » (διανοῖγον), sa matrice comme tout garçon premier-né, certes, signifie aussi ouvrir son esprit, son cœur à la révélation pour comprendre et recevoir (διανοιγειν τὸν νοῦν, τὴν καρδιαν ; Lc 24,45 ; Ac 16,14). Qui plus que la bienheureuse Vierge Marie fut ouverte à l’appel de Dieu ? Mais les vieillards Siméon et Anne aussi ! Et cette ouverture nous est offerte, à nous aussi : voulons-nous prendre dans nos bras le Fils de Dieu ? À la veille de Noël 1517, saint Gaétan de Thiene, cofondateur de l’ordre des Théatins (clercs réguliers) eut cette possibilité : « À l’heure de sa très sainte naissance, je me suis trouvé dans la véritable et matérielle très sainte Nativité. Des mains de la Vierge timide, j’ai reçu ce tendre Enfant, le Verbe Éternel fait chair ». Saint Antoine de Padoue n’est-il aussi représenté le portant dans le bras, suite à la vision rapportée par le comteTiso à Camposampiero peu avant sa mort (vers Noël 1230) ?
Nous aussi, nous sommes temple de Dieu (1 Co 6, 19). Nous sommes appelés à offrir notre vie en sacrifice spirituel : comme la goutte d’eau que le prêtre mêle au vin avant la consécration, « puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité ». Si au prêtre, par le sacerdoce ministériel, il appartient d’offrir le sacrifice et d’être offert en sacrifice (sacerdotem opporter offere et offeri suivant le bx Karl Leisner), par le sacerdoce baptismal de tout fidèle, vous êtes appelés à vous présenter devant le Seigneur en lui offrant votre vie et tout votre être, car nous lui appartenons et nous trouvons en lui notre bonheur. Singulièrement, actualisons cette offrande de nous-mêmes avec nos talents et nos besoins, à l’offertoire sur la patène, lors de l’élévation, pendant l’action de grâces après la communion.