Homélie du 3e dimanche de l’Avent (15 décembre 2024)
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Joie et paix
« Réjouissez-vous [Gaudete] dans le Seigneur en tout temps (…). Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus » (Ph 4, 4-7). L’épître évoque la joie et la paix qui, avec la miséricorde, sont trois effets de la charité.
- La joie
- La joie est un don de Dieu (II-II, 28, 1)
La joie spirituelle est un fruit de la charité, amour surnaturel venu de l’Esprit-Saint (II-II, 28, 4). Il s’enracine dans l’amour naturel, passion humaine qui nait quand on possède un bien (a contrario, ne pas le posséder rend triste). Mais l’amour désintéressé et pas utilitariste aime l’ami pour lui-même et non pour le bien qu’il nous fait. Que l’ami possède son bien propre nous réjouit. Par la vertu théologale de charité, nous aimons Dieu, joyeux du bien qu’il est lui-même et nous nous réjouissons que Dieu condescendit à nous appeler amis (Jn 15, 15).
Dieu habite en nous par la grâce depuis le baptême (Jn 15, 10-11) ou après l’absolution si nous l’avions perdue après un péché mortel. L’espérance de la vision béatifique anticipe une certaine joie car Dieu est un Dieu bon qui nous a aimés jusqu’à donner son Fils pour nous sur la Croix : « vous aussi, maintenant, vous êtes dans la peine, mais je vous reverrai, et votre cœur se réjouira ; et votre joie, personne ne vous l’enlèvera » (Jn, 16, 19). La prière construit ce amour et y puise de quoi aimer Dieu en retour et nos frères, même moins aimables.
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- « Je vous ai dit cela pour que (…) votre joie soit parfaite »
À considérer Dieu en lui-même, aucune tristesse ne s’y mêle. Seul le parfait peut nous communiquer sa joie parfaite. Par contre notre participation imparfaite à sa vie divine peut nous attrister car notre péché empêche le plein épanouissement de sa grâce en nous. Nous sommes divisés intérieurement : « Selon Isaïe (59, 2) ‘Nos péchés nous ont divisé d’avec Dieu’ [peccata dividunt inter Deum et nos]’. C’est pourquoi nous avons motif de pleurer nos péchés passés, ou même ceux du prochain, en tant qu’ils nous empêchent de participer au bien divin ». En chemin (in via), ne jouissant pas encore du Père (in patria), nous sommes attristés de toujours pécher. Encombrante liberté qui fait pourtant notre dignité ! La vraie liberté doit nous faire rendre amour pour amour, pour répondre à celui qui nous a aimés le premier (1 Jn 4, 19).
La joie parfaite ne sera qu’au Ciel, quand il ne reste plus rien à désirer, comme le repos est l’aboutissement de tout mouvement. Elle dépasse même ce que pouvaient imaginer les bienheureux du Ciel (1 Co 2, 9), une mesure bien tassée et débordante (Lc 6, 38). La différence entre bienheureux ne réside pas dans le fait d’être comblé mais dans la capacité réceptive de l’amour de Dieu qui aura été creusée ici-bas (quidquid recipitur, recipitur in modo recipientis).
- La paix
- Différence paix/concorde (II-II, 29, 1)
Contrairement à la concorde : « que les volontés de plusieurs s’unissent dans un même consentement » la paix, n’implique pas autrui. Elle est intérieure à l’homme et surmonte la division intérieure : « il arrive que, chez le même homme, le cœur ait des tendances diverses de deux façons : soit selon les diverses puissances appétitives : ainsi l’appétit sensitif va-t-il le plus souvent en sens contraire de l’appétit rationnel, selon saint Paul (Ga 5, 17) : ‘La chair convoite contre l’esprit’. Ou bien, la même puissance appétitive tend vers des objets différents qu’elle ne peut atteindre à la fois. Il est alors inévitable que ces mouvements de l’appétit se contrarient. Or, l’union de ces mouvements est de l’essence de la paix ; car le cœur de l’homme n’a pas la paix, même si certains de ses désirs sont satisfaits, du moment qu’il désire autre chose qu’il ne peut avoir en même temps. Mais cette union intérieure n’est pas de l’essence de la concorde. Ainsi donc, la concorde implique l’union des tendances affectives de plusieurs personnes, tandis que la paix suppose en outre l’union des appétits dans la même personne » (II-II, 29, 1). La personne humaine est unifiée après sa désintégration par le péché.
La paix intérieure permet la concorde (paix telle que le monde l’entend) : « En vérité, les déséquilibres qui travaillent le monde moderne sont liés à un déséquilibre plus fondamental qui prend racine dans le cœur même de l’homme. C’est en l’homme lui-même, en effet, que de nombreux éléments se combattent. D’une part, comme créature, il fait l’expérience de ses multiples limites ; d’autre part, il se sent illimité dans ses désirs et appelé à une vie supérieure. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer. Pire : faible et pécheur, il accomplit souvent ce qu’il ne veut pas et n’accomplit point ce qu’il voudrait [Cf. Rm 7, 14s.]. En somme, c’est en lui-même qu’il souffre division, et c’est de là que naissent au sein de la société tant et de si grandes discordes » (Gaudium et Spes 10).
b. Les conditions de la vraie paix
Pour être en paix avec soi-même et les autres, il faut être ce que l’on doit être, suivant la volonté de Dieu. Dieu veut génériquement que nous devenions des saints et spécifiquement que nous vivions de notre vocation propre. Saint Augustin appelle la paix la tranquillité de l’ordre. Ce n’est pas subjectif mais objectif : il faut adhérer au vrai bien qu’est Dieu ! Pas de vraie paix sans Dieu sinon la paix des cimetières.
La paix implique une double union, de nos appétits intérieurs dirigés vers un seul but et que nous soyons en accord avec les appétits d’autrui. La charité produit cette double union. Primo, nous aimons Dieu de tout notre cœur au point de lui rapporter tout. Secundo, en aimant le prochain comme nous-même, nous voulons accomplir sa volonté à laquelle nous nous sommes liée : l’amitié repose sur un même vouloir.
Conclusion
Noël approche, associé à la venue dans le temps du « prince de la paix » (Is 9, 6). Demandons au petit Jésus qui viendra dans la Crèche d’advenir aussi dans nos cœurs pour les apaiser et leur donner la vraie joie spirituelle car « Il n'y a qu'une tristesse, c'est de n'être pas des saints » (Léon Bloy, La femme pauvre, 1887).