Homélie du 12e dimanche après la Pentecôte (11 août 2024)
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Lecture thomiste de l’évangile du Bon Samaritain (Lc 18, 23-37)
- Heureux ceux qui voient et entendent Jésus, Fils de Dieu
- Le Fils de Dieu entraperçu par certains de l’Ancienne Alliance
Le Fils est venu révéler qui était le Père aux disciples, ce qui leur vaut cette béatitude de le voir avec les yeux de la foi, le reconnaissant comme le Fils incarné du Père éternel venu nous sauver pour l’amour de nous. D’autres comme les pharisiens ne voulaient pas le voir. Il s’agit déjà d’une béatitude puisque l’âme jouit par anticipation de la vision du Ciel. Elle possède déjà cette vie divine qui veut nous rendre semblable à lui par la sainteté et la justice. Seuls certains anciens l’entraperçurent (cf. He 11, 13 ; 1 Co 13, 2), un petit nombre de justes d’Israël, des prophètes et rois, comme Abraham qui vit le jour du Christ et s’en réjouit. Personne ne peut désirer ce qu’il ne conçoit pas dans son esprit : ils ont donc connu le Fils de Dieu.
Une fois encore, Jésus fut tenté par les pharisiens et scribes qui l’appellent maître mais refusent de suivre sa doctrine (donc ils ne sont pas dociles, étymologiquement). Ils l’interrogèrent sur l’un des thèmes préférés du Seigneur, la vie éternelle. Jésus ayant percé le dessein perfide, ne lui répondit qu’en citant la loi de Moïse (cf. Dt 6, 5 ; Lv 19, 18, réfutant au passage l’hérésie de Valentin, Basilide ou Marcion qui rejetaient l’Ancien Testament). Ses ennemis ignoraient le sens profond de la loi qu’ils prétendaient enseigner.
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- Jésus est venu accomplir la loi
L’amour de Dieu doit être sans partage normalement. L’âme humaine est composée de trois parties : la végétative comme les plantes (pour l’accroissement), la sensible comme les animaux (pour connaître le réel) et la rationnelle (pour le comprendre, dominer et interagir). Cette dernière nous élève au-dessus des autres créatures matérielles, nous rapprochant des anges, purs esprits. « De tout votre coeur » fait allusion au premier niveau, « de toute votre âme » au sensible et « de tout votre esprit » à la partie rationnelle spécifiquement humaine. Tout ce qui s’attache dans notre âme aux choses de la terre est volé à Dieu si la créature n’est pas aimée en Dieu et pour lui et donc il faut y mettre toute notre ardeur (« et de toutes vos forces »). Cela s’oppose à la triple inclination du monde vers la cupidité, la gloire et la volupté, trois tentations auxquelles Jésus-Christ fut lui-même soumis.
L’amour ne s’apprend pas. Dieu a déposé dans notre nature de quoi aimer car nous aimons naturellement tout ce qui est bon. Nous aimons nos parents, nos proches et accordons spontanément notre affection à ceux qui nous font du bien. Dieu est le bien suprême et il cultive vers la perfection ce qui serait naturel si ce n’était vicié par le péché. Dieu nous a comblés de bienfaits et mérite donc d’être aimé en premier. Mais comme nous sommes créés êtres sociaux, nous devons aimer les prochains. Le modèle de l’amour du prochain doit être la mesure divine.
Le docteur de la loi agit comme le pharisien (cf. 10e dimanche) avec le publicain : « mais cet homme, voulant faire paraître qu’il était juste, dit à Jésus : ‘Et qui est mon prochain ?’ ». Il s’estimait juste et meilleur que les autres, sans vis à vis qui lui fût comparable. Il s’imaginait que personne ne pût lui être comparé en justice. Il n’aimait pas le prochain puisqu’il ne croyait pas qu’il pût avoir d’alter ego. Il n’avait par conséquent aucun amour pour Dieu puisque, n’aimant pas son frère qu’il voyait, il ne pouvait aimer Dieu qu’il ne voyait pas (1 Jn 4, 20).
- La parabole du bon Samaritain
- Symbolique de l’homme à demi-mort par le péché
Le prochain est en théorie tout homme même si l’ordre de la charité prescrit d’abord ceux avec qui nous vivons (parents par cercles concentriques de plus en plus éloignés, amis, collègues). Tous ceux qui partagent avec nous une même nature sont notre prochain. Devenons donc aussi leur prochain, non pas proche géographiquement mais affectivement, ce qui implique des soins que leur état réclame. L’humanité irait à sa perte, à son tombeau, sans l’amour du prochain qui est le signe effectif de l’amour de Dieu.
Cet homme représente Adam et tout le genre humain qui quitta la Jérusalem céleste, cité de paix (à env. 750 m d’altitude), dont l’homme a perdu la félicité par son péché. Jéricho est situé sous le niveau de la mer (à env. – 240 m), symboliquement enterrée près de la mer morte, la bien nommée. Peut-être manquait-il de prudence en ne se préparant pas à affronter les dangers de la route. Symboliquement, il fut saisi par les mauvais anges et quitta la voie des commandements de Dieu. L’homme fut dépouillé par la ruse du démon des vêtements de l’innocence et de l’immortalité (la grâce et les dons préternaturels). Les mauvais anges le couvrirent de blessures, affaiblissant en lui la force du libre arbitre. Cela ajoute de nombreux péchés personnels à celui, originel, que nous contractons. Nous sommes demi-morts car vivants physiquement et capables de connaître Dieu mais morts spirituellement par le péché. L’homme gisait là, étendu, incapable de se relever par ses propres forces, aussi appelait-il le médecin, c’est-à-dire Dieu, pour le guérir.
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- Insuffisance de la loi pour sauver
Le premier qui passa était un prêtre, comme Aaron puis un lévite comme Moïse, qui par le sacrifice juif et la loi ne pouvaient sauver l’homme. Le genre humain ne put être guéri à aucune des deux époques de la loi et des prophètes car si la loi donne bien la connaissance du péché, elle ne le détruit pas. (Rm 3, 20; 8, 3.). « Il passa » car la loi vint et ne dura que jusqu’au temps que Dieu lui avait marqué.
La victime, bien qu’israélite comme les passants, ne reçut aucun secours de son propre peuple au cœur endurci (Mt 19, 8). Finalement, le Samaritain, étranger par la race (méprisé car de sang mêlé, descendant d’envahisseurs païens mal convertis au contraire des Judéens), se fit proche par la compassion. Jésus voulut être représenté dans ce Samaritain qui signifie gardien : « non, il ne dort pas, ne sommeille pas, le gardien d'Israël » (Ps 120). Il s’identifia à lui au point d’être accusé par les Juifs : « N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as un démon ? » (Jn 8, 48). Il nia uniquement le second point mais accepta d’être vu comme le gardien des infirmes, lui le médecin venu pour les malades et non pour ceux qui se croient en bonne santé. Transposons le Knock de Jules Renard : « tout homme bien portant est un malade qui s’ignore » en « tout homme se croyant juste est un pécheur qui ignore avoir un besoin vital d’être sauvé ».
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- Jésus est le bon Samaritain : la descente de l’Incarnation
Ce Samaritain descendait lui aussi mais par l’Incarnation, non par le péché. Car quel est celui qui est descendu du ciel, sinon celui qui est remonté au ciel, le Fils de l’homme assis à la droite du Père ? (Jn 3, 13). En prenant une nature humaine, il se fit proche de nous, revêtu de la ressemblance de la chair de péché (Rm 8, 3). Il s’approcha aussi par sa compassion.
Pourtant, quelle distance plus grande pourrait-on imaginer qui séparât Dieu de l’homme ? Il possédait deux biens, la justice et l’immortalité, et nous avions, au contraire, deux maux, l’injustice et la mortalité. Eût-il assumé ces deux maux qui étaient notre partage, il fût devenu semblable à nous, en attente d’un libérateur. Il ne se fit pas entièrement notre égal, mais s’approcha seulement de nous, restant sauve sa distance du péché. Mais il se fit mortel, assumant sur lui le châtiment sans prendre la faute pour détruire l’un comme l’autre.
Le Samaritain bande les plaies comme Jésus réprime les péchés. L’huile symbolise la douce consolation de l’espérance donnée par la miséricorde divine, qui nous obtient la réconciliation. Le vin est l’exhortation à une vie fervente dans l’Esprit-Saint. Mais cela représente aussi les sacrements avec ces deux matières (baptême, confirmation, ordination et extrême-onction ; Eucharistie) qui nous guérissent et élèvent vers Dieu. Il a versé le vin ou libation du sang de sa passion, et l’huile, l’onction sainte car le pardon de nos fautes nous est donné par son sang, et la sanctification de notre âme par l’Esprit Saint.
La monture est sa chair. Nous devons admettre par la foi l’Incarnation du Fils de Dieu qui porte lui-même nos péchés en souffrant pour nous (Is 53). L’homme, devenu semblable aux animaux brutes (Ps 48), il nous a donc placés sur sa monture, afin que nous ne soyons plus semblables au cheval et au mulet (Ps 31, 9), pour détruire l’infirmité de notre chair en se revêtant lui-même de notre corps. Il a fait de nous des membres de son corps.
L’hôtellerie où l’on prit soin de lui, est l’Église « hôpital de campagne » qui reçoit tous les fatigués du monde, accablés sous le poids de leurs péchés. Après avoir déposé le fardeau de leurs fautes, les voyageurs harassés reprennent des forces au festin salutaire préparé avant de repartir. Pour entrer dans l’hôtellerie, il faut avoir été baptisé en devenant membre de son corps mystique. L’hôtelier est doté de deux derniers, les deux Testaments, portant tous deux gravée l’image du roi éternel par le mérite desquels nos blessures sont guéries. L’Église pratique les deux préceptes de la charité (Dieu et le prochain) donnés aux Apôtres. Jésus reviendra le jour du Jugement où toute chair le verra revenir sur la terre. Il rendra alors ce qu’il doit aux bienheureux, puisqu’il a voulu être leur débiteur.
Ainsi, la dignité sacerdotale, la science de la loi sont inutiles si elles ne sont mises en pratique par les bonnes œuvres de miséricorde tant corporelles que spirituelles. Aussi le Sauveur ajoute-t-il : « Allez et faites de même ».